A l’est des brumes filassent, elles se sont donné le mot et s’attardent tout autour d’anciennes dépressions alpines dans lesquelles le temps patauge. On dirait les restes d’une catastrophe dans un monde ouvertement désert.
À l’ouest le soleil coule sur les tuiles des toits du pied du Jura, la vie prend son sillage avec, sur les côtés, des vieilles qui se rendent à la hâte jusqu’à la laiterie, sur des routes sans trottoir, rasant les murs, leur crainte tenant à bonne distance de rares véhicules qui ne s’arrêteront pas. Il y a aussi des vieux qui traversent le bourg et que saluent du haut de leur tracteur de jeunes paysans. Ils se retrouveront tous, comme chaque jour, à 9 heures au café.
Je n’aurai droit ni à l’est ni à l’ouest, m’enfile dans le lard de la terre, sans frontale, pour n’en ressortir qu’à 16 heures.
Passe en rentrant par Villars-Tiercelin. J’escomptais que le cimetière serait près de l’église sur la route de Montaubion-Chardonney. Trouve bien l’église mais pas le clos des morts qui se situe, je me suis informé depuis, sur la gauche de la route qui mène à Poliez-Pittet. M’arrêterai finalement au cimetière de Peney, lui aussi loin de l’église, petite récolte : deux arrosoirs près d’un bassin de fort mauvais goût. Je rentre par le Moulin de Peney désert à cette heure. Plus loin, la porte du garage de la maison dans laquelle j’ai vécu de longues années est ouverte, je ne vois personne, les propriétaires ont soigneusement enlaidi les lieux.
Au Riau les filles jouent, Sandra est descendue avec Arthur à Ropraz, elle remonte boire un thé avec la maman d’un membre du club. Je descends à pied avec Oscar par le Torel, coupe à travers les champs de chaume qui penchent vers la Bressonne.
Lili a perdu une dent, celles de Brenleire et de Folliéran, elles, sont recouvertes d’une fine couche de neige, les sommets à l’arrière du Lac Noir aussi ; les Dents du Midi sont blanches pour la première fois cette année. Plus à l’ouest de gros nuages brassent de l’air et confondent les alpes de Savoie. On entrevoit pourtant un bout de ciel bleu du côté de Genève, tendre, un lac renversé que le soleil et la bise étendent jusqu’à la mer. Les contreforts du Niremont sur le collet desquels les brumes s’attardaient ce matin se sont ébroués, et le temps qui pataugeait jusque-là s’est mis à remuer ciel et terre pour disposer avant que la nuit ne tombe d’un instant pour recevoir l’or qui coule du creuset des vallons.
Jean Prod’hom