Il y a du Grand Meaulnes dans la Grande Beune

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Assure la mise sur orbite de nos trois satellites, qui peinent au réveil, se retournent, se détournent, s’enroulent dans leur couette avant de mettre soudain le turbo et de me reprocher, tandis qu’ils regardent flotter dans un bol de lait leurs corn flakes, de les avoir martyrisés en leur offrant, je le croyais, ce qui se fait de mieux en ces circonstances, les chansons de la jeunesse de Georges Brassens chantées par lui-même : Avoir un bon copain, On n’a pas besoin de la lune, Le Bateau de pêche, Le Petit Chemin,… On m’y reprendra.

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Présente aux élèves de la 6 une activité autour des Temps modernes (1453-1776), une activité dont je cherchais depuis quelque temps la clef, laquelle m’est apparue hier alors que je roulais entre Cugy et Morrens, Bretigny, Montheron et Froideville. La solution s’est imposée d’un coup : extraction en forme d’arborescence de la structure – appelons-la sémantique – de l’introduction aux Temps modernes du manuel d’histoire des années passées rédigée par Raymond Darioly ; importation dans cette arborescence pour l’éclairer, l’étayer, exemplifier l’un ou l’autre de ses aspects, de cinq éléments textuels extraits des 88 pages du manuel Nathan mis à la disposition des élèves cette année, consacrées aux XVIIe et XVIIIe siècles ; recherche sur le net et importation de cinq documents iconographiques complétant l’éclairage; rédaction pour chacun de ces documents d’une légende, c’est-à-dire de consignes de lecture – que faut-il regarder sur cette image ? –, susceptibles de fonder l’une ou l’autre des assertions, illustrer leurs significations, mais aussi susceptibles d’étendre l’intelligibilité du parcours.
Il me faudra plus de trente minutes pour préciser l’affaire aux élèves, ses enjeux, mais aussi sa simplicité : apprendre à lire, croiser ses sources et goûter aux joies de l’exploration libre.
Pendant que les élèves de la 9 planchent cet après-midi sur la course aux colonies à la fin du XIXe siècle, je lis Genette la canaille, il y a de la fouine chez le bonhomme, du furet ou de la belette.

Mon propre conseil de lecture serait donc : surtout, ne «picorez» pas (un livre n’est pas une basse-cour), lisez dans l’ordre, ligne à ligne, sans rien sauter (parfois glisser, peut-être), sous peine de manquer les effets volontaires, ou plus souvent offerts par ce hasard qui souvent fait si bien les choses, de proximité (de «bricollage»), de contraste (de coq à l’âne) ou de transition ; retenez éventuellement les entrées qui vous semblent obscures ou elliptiques, puis relisez une deuxième fois d’un œil plus curieux, voire indiscret, propre à percevoir quelques fils conducteurs, et quelques images dans le tapis : contrairement à moi, vous avez toute la vie devant vous. Mais j’ai dit «serait», sans illusion ni sanction : l’auteur propose, dans le meilleur des cas, le lecteur dispose, et de toute manière il est déjà un peu tard pour un tel divertissement.

Bien sûr, il y a bricolage et bricollage, mais on ne saura pas avant l’après trilogie de Codicille, Bardadrac et Apostille, c’est-à-dire dans l’ouvrage suivant – s’il y en a un (dont le titre devrait commencer très logiquement par la lettre Z en vertu de la loi de l’Eternel retour du même) –, sur quoi portaient les guillemets.
Termine en rentrant La Grande Beune, un récit plus court, plus ramassé encore que le souvenir gardé, à peine un récit. Le lire et le relire autant de fois qu’il le faudra pour réduire son empan et saisir sa phrase, la courte phrase qui le fait frémir tout entier, percevoir le souffle unique qui le traverse. Il y a du Grand Meaulnes dans la Grande Beune.
Réunion des parents d’élèves à Moudon, la Broye coule noire.

Jean Prod’hom

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