Il est comme un sou neuf assis sur un banc du square, à l’écart, une chemise blanche et un gilet de jersey. Les enfants de son âge jouent au bord de l’étang avec leurs reflets et des bouts de bois. Il tend l’oreille parce que ça le repose des langues dans lesquels il a baigné depuis sa naissance. Ses yeux font des bonds, s’agitent dans ses orbites mais ses mains reposent l’une sur l’autre, le vent brasse dans son dos les feuilles de l’automne. Il a le regard de la chouette égarée dans le jour, ses pensées qu’ils superposent vont à l’aveugle. La jeune femme qui l’accompagne lui dit quelques mots en allemand.
On imagine le garçon couché sur un riche tapis d’orient dans un salon d’ors et de stucs, penché sur une planisphère, détaillant en tous sens les régions qu’il a traversées, leurs capitales, la Crimée, la Suède, Tallinn ou Kiev, les ambassades et ses brèves rencontres. Orphelin au front bombé, la vie lui pèse. Il engrange pourtant, sans s’inquiéter, ce qu’il lui faudra bien un jour oublier.
Lorsqu’il se lève il hésite, tâtonne avant de mettre la main sur une canne blanche, il marche à quelques pas de la dame qui l’accompagne, avec les yeux ouverts sur une nuit faite des pièces d’un puzzle dont on peine à concevoir la découpe, apaisé de ne rien avoir à ajouter.
Jean Prod’hom