Les lieux de la ruse | Georges Perec

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On ne saisit pas d’emblée pourquoi les amis de Georges Perec ont fait une place dans Penser / Classer aux texte intitulé Les lieux d’une ruse. Le sommaire de ce recueil tourne en effet autour de la question des classements et de leurs heureux accidents, et on voit mal comment ces réflexions de Georges Perec sur l’analyse qu’il a faite entre 1971 et 1975 se cale dans leur projet éditorial.

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À moins que la panique née de la faillite de sa mémoire, dont il a été saisi lors de cette analyse et qui l’a conduit, pour ne rien oublier, à noter quotidiennement ce qui lui arrivait, et à conserver les traces matérielles de son existence qu’il triait pendant de longues heures en songeant à un classement qui remplirait chaque année, chaque mois, chaque jour de sa vie, ait suffi à motiver leur décision. A moins que, par une nouvelle ruse, il ne s’agisse de tout autre chose. Je le crois plutôt.
Georges Perec revient en une quinzaine de pages au divan sur lequel il s’est étendu trois fois par semaine pendant quatre ans, pour faire entendre ce quelque chose de très ancien et de tout à fait nouveau, dit-il, qui est advenu soudain et qui a offert un nouveau tour à sa vie, à ce qu’il a écrit et écrira ; il y a un avant et un après l’analyse. Mais ce texte il ne parvient pas à l’écrire, pas plus qu’il n’est parvenu, pendant quatre ans, à dire à l’analyste ce que celui-ci écoutait sans l’entendre, pour cette simple et bonne raison qu’il ne le lui disait pas.
Il y a à écrire ce rien, les précautions vaines, les circonstances, les jalons, les préliminaires, les ruses mises en place pour différer l’inéluctable moment d’écrire. Et c’est cette vérité que Perec est allé chercher en dehors de tout lieu, en se condamnant quatre ans durant à parler pour ne rien dire et à se taire à tort et à travers, avant que cette force de résister à soi-même ne soit entamée, lentement s’érode et laisse apparaître la vérité à laquelle il tournait le dos. L’analyse peut s’arrêter, ou se poursuivre ailleurs, quelques chose a jailli qui rejaillit non seulement dans ce que Perec écrira mais aussi dans ce qu’il a écrit.
Raconter, classer, penser sans plus considérer ces opérations comme des préliminaires à ce qui serait à dire. Le dire, c’est dit.

Jean Prod’hom