J’ose espérer qu’il dort

Capture d’écran 2015-11-06 à 16.47.53

Cher Pierre,
Les spécialistes avaient annoncé le beau jusqu’à aujourd’hui, voilà qu’ils le promettent jusqu’à vendredi, personne ne s’en plaint. Je conduis Arthur au bus avant d’aller faire le petit tour avec Oscar. C’est lorsque je remonte dans la Nissan pour me rendre à Vevey que j’aperçois devant chez nous un chevrillard. Il ne bouge pas, moi non plus ; je décide alors de tirer de ma poche mon appareil de photos, avec le risque qu’il s’enfuie et que notre rencontre s’arrête là. Il me regarde sans broncher, je m’approche encore, fais une nouvelle photo, si près que je pourrais le toucher ; il s’éloigne enfin en trottinant. Nous répétons plusieurs fois le manège, je le filme.

Cette année dans le canton de Vaud, la chasse au chevreuil, au lièvre, au sanglier, au ragondin, au blaireau,… est ouverte du 1er au 30 octobre. Il est vraisemblable que la mère du chevillard a été tirée. Je me vois pourtant mal la remplacer et l’héberger. Le chevrillard me regarde, immobile.
Je décide de téléphoner à la Société vaudoise pour la protection des animaux ; la responsable du service regrette, elle ne peut rien pour moi, mais c’est très volontiers qu’elle me communique le numéro de téléphone de la direction de la division biodiversité et paysage, section chasse, pêche et surveillance du canton de Vaud auquel je m’empresse de téléphoner.
La responsable du service écoute mes explications, mais pas plus que la première ne peut quoi que ce soit pour moi, sinon m’envoyer par sms le numéro de téléphone du surveillant permanent de la faune de la 6ème circonscription Gros de Vaud-Jorat.
Le jeune chevreuil me regarde, il attend. Moi aussi, assis sur une traverse de chemin de fer. Je crains que l’un des chiens du quartier, si je m’en vais, lui mène la vie dure ; je réitère donc, après un petit quart-d’heure, mon appel. La responsable du service division biodiversité et paysage me reçoit un peu sèchement lorsque je lui demande timidement si elle m’a oublié. Elle n’a pas pu atteindre le garde-faune local, il est à Savatan où il participe à un cours, un cours de tir. Elle lui a laissé mon numéro de téléphone, son remplaçant prendra contact avec moi.
Je salue la bête et file à Vevey : café, thé et biscuits dans le jardin avec Edouard et Françoise, devant une vigne vierge couleur de miel et des capucines rouge coquelicot. Lorsque je quitte mes hôtes à un peu plus de midi, je n’ai reçu aucun signe du remplaçant du garde-faune,
Petite cérémonie à 14 heures dans la cour du collège en présence du directeur et du doyen, la capsule temporelle est mise sous clef jusqu’en 2035. Je corrige quelques copies à la fin des cours, puis descends en ville à 18 heures, j’ai rendez-vous avec C ; on mange une pizza à la Tour, on parle et ça fait du bien, une heure, une heure belle et triste. Je la ramène à la maison ; sa maman et son petit frère, comme elle, ont besoin de courage. C’est comme s’ils devaient apprendre à recompter le temps, à tout reprendre depuis le début, à tout réagencer, autrement.
Aucune nouvelle à 20 heures du service division biodiversité et paysage, section chasse, pêche et surveillance, aucune non plus du garde-faune local, ni de son remplaçant. Louise et Lili ont vu le jeune chevreuil à midi, hébété. On hésite à rappeler le garde-faune ; car si les chasseurs n’ont pas hésité à tirer la mère, on peut craindre qu’avec le cours de tir qu’il a pris à Savatan, le garde-faune ne manque pas le chevrillard.
Maintenant il fait nuit, j’ose espérer qu’il dort. On verra demain.

Jean Prod’hom

IMG_3753