Il n’est pas rare que des associations invitent des intellectuels, des essayistes ou des philosophes à s’adresser à de jeunes enfants sur l’un ou l’autre des aspects essentiels de notre vie : la musique, l’image, le bruit, le temps, l’espace, le nombre… Ces conférences que des éditeurs intelligents mettent parfois sur le marché me sont toujours apparues comme des moments de grâce, ne laissant guère d’ombre et me persuadant la plupart du temps que je suis assez compétent pour être du côté de ceux qui savent, face à des gamins qui ont encore tout à prouver.
Mais en temps normal, quand ces grands hommes s’adressent à leurs pairs, travaillant à l’oeuvre dont se souviendra la postérité, je me retrouve comme les enfants de tout à l’heure, mais sans la sollicitude et la patience qu’ils leur ont témoignées, avec le sentiment d’avoir été trahi par ma suffisance. Me voici précipité dans un profond désarroi, assistant défait au passage de ce quelque chose dont ils sont à coup sûr les détenteurs, qui transite dans une langue et une érudition de si haute tenue qu’ils m’obligent à rester à bonne distance. J’aperçois bien ici ou là quelques lueurs, mais ce sont des lueurs qui passent sans m’éclairer, me convainquant surtout qu’il est trop tard et que je n’y arriverai pas.
Je me console alors en espérant que ces intellectuels, ces essayistes ou ces philosophes prendront un jour la voie du milieu et qu’ils daigneront m’offrir, en s’adressant à l’adolescent que je suis demeuré, le chaînon manquant.