Montblesson / 16 heures
La vieille m’avait dit cet après-midi-là, sans trouver toujours les mots, qu’elle avait suivi pendant de longues années une figure qui la précédait de tout près, celle d’un homme qui en réalité n’existait pas, qu’elle avait vu derrière ses paupières et qui semblait tout ignorer d’elle. Il lui était devenu familier avec le temps, sans qu’elle le veuille, et vivait quotidiennement un instant dans ses parages. Elle lui avait prêté par précaution un peu de courage, celui qu’elle n’avait pas et dont elle aurait besoin peut-être un jour. Elle le voyait toujours couché, quelle que soit la saison, le corps et le visage tournés vers une fenêtre donnant sur l’est, avec le soleil qui brillait. Ils ne parlaient pas, elle se contentait de se pencher, et regardait à travers lui, par la fenêtre, ce qu’il voyait. En savoir plus sur son compte n’aurait mené à rien, elle n’avait jamais vu son visage.
C’était la respiration de cet homme, la chambre blanche dans laquelle il était couché, c’était le chat qui entrait et sortait par la porte entrouverte, ce qui bruissait derrière les carreaux de la fenêtre qu’elle aurait voulu écrire, si cela s’était avéré possible.
Ce tableau vivant lui était devenu indispensable, mais il l’avait invitée également à s’en détourner parce qu’elle n’avait rien à attendre de lui; elle s’était mise alors à aller toujours plus souvent de son côté, là où personne ne l’avait précédée et où personne ne la suivrait, elle aussi.
Le soir en la quittant, je ne me suis pas retourné, c’était peut-être à mon tour de ne pas la retenir, de ne rien précipiter, d’élargir les limites du dedans en restant immobile comme sur un seuil.