Corcelles-le-Jorat / 15 heures
La porte s’est refermée, et, à l’intérieur de ces murs savamment habillés de cartes et de tableaux, vous avez prêché une morale qui leur est étrangère, sinon indifférente; vous leur avez offert, ou imposé la lecture de textes qui restaient à cent lieues de leurs vivantes préoccupations; vous avez tenté des leçons qui, vous le sentiez bien, glissaient sur des esprits que vous parveniez si rarement à toucher et à retenir.
Avez-vous essayé parfois de connaître les sujets profonds des si nombreuses distractions de vos élèves? Un chant de coq, le pas heurté d’une ânesse descendant le chemin pierreux, le crissement d’un arrosoir sur les barres de fer de la fontaine, ou tout simplement un nuage passant devant le soleil et assombrissant brusquement la classe, suffisent à rompre ce charme factice que vous essayez de créer… La sève ne circule plus dans votre école, et vous avez beau faire, vous n’obtiendrez vous aussi, de ce fait, que des produits rabougris… Vous pourrez embellir vos histoires, les raconter de votre voix la plus délicieusement nuancée, tâcher d’accaparer l’intérêt de vos bambins par des jeux, des images, du chant, du cinéma!… Peine perdue si vous ne retrouvez la sève!… et celle-ci ne part point de votre science pédagogique: elle circule à partir de la vieille cuisine sombre, du chemin rocailleux, de la tête neuve et lustrée du poulain, et du troupeau gambadant au sortir de l’étable.Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du Travail, Les dangers de la scolastique, 1949