Cher Jean,
Merci pour les nouvelles très fraîches du Jorat, les précis souvenirs ferroviaires, aussi, en terrain pentu. Comme la voiture et l’avion, le train a été victime du désenchantement du monde. Sa magie poussive a illuminé nos enfances rustiques. On n’avait pas besoin de crémaillère, de ce côté-ci de la frontière mais les locomotives à vapeur sillonnaient la campagne de mes jeunes années, sous leur panache de fumée, noires, haletantes, vivantes. Avant même d’arriver à la gare, on les entendait respirer, en tête de convoi, comme de grandes, puissantes bêtes qui prendraient leur course au coup de sifflet et c’est le coeur battant qu’on empoignait la main courante en acier nickelé des wagons vert bouteille, compartimentés. Il ne faudrait pas que le temps passe. On peut se souvenir.
Pour te rendre plus sensible encore la conformation du lieu au sentiment de l’existence, une photo de la Beauce, à proximité de Chartres, samedi dernier. Le contraire de la carte de voeux où tu vis. Des platitudes infinies de part et d’autre de la Nationale rectiligne et les labours sous le soleil bas, gênant, de décembre. Mais dans une semaine, les jours vont commencer à croître.
Bonne fin d’année, dans tes montagnes. Amitié.
Pierre
Photo | Pierre Bergounioux