Halte cette après-midi chez Payot; je parcours au pas de charge la dernière livraison de la Cinquième saison, consulte le dossier des critiques en me réjouissant du retour de cette grande absente du champ littéraire, de ses caresses et de ses coups de griffes. Jusqu’à la critique du dernier récit de François Conod, Étoile de papier, dans lequel celui-ci retrace son internement forcé en psychogériatrie, peu de temps avant de mourir.
La lecture critique de Cédric Pignat m’aura plongé dans un vilain état: son texte, d’une extrême violence, m’a semblé en effet une opération de démolition réglée d’un livre que personne n’aurait jamais osé disqualifier ainsi du vivant de son auteur.
Il y a un parfum de scandale à s’adresser ainsi à un mort, à s’acharner sur lui, à profaner les traces qu’il a laissées; quelque chose de sacrilège qui m’a fait penser à l’exécution d’un cadavre.
A moins que j’aie mal lu, ou trop vite.
Je dois toutefois excuser Cédric Pignat, qui a préféré se soucier de sa propre langue, belle langue écumante, comme le dit Julien Sansonnens sur son blog à propos d’un recueil de ses nouvelles, flot de phrases creusées par un travail formel sur les mots et relancées par un vocabulaire rare, bref une esthétique de la tournure qui semble se suffire à elle-même, entre assonances et allitérations, jeu de mots et expressions heureuses.
Comme je disposais de deux heures encore, j’ai lu l’Étoile de papier de François Conod dont je ne connaissais pas jusque-là les livres; j’en suis sorti sonné, remué, emballé, devant la dignité d’un homme dont l’écriture sobre, distante même, parvient du début à la fin à faire entendre une expérience unique et une voix attachante.
La critique de Cédric Pignat aura eu donc la vertu de me conforter dans l’idée qu’il faut toujours préférer la voix au style, l’expérience aux exercices de rhétorique.