Da capo

J’avance somnanbule dans un monde strié par le va-et-vient du jour et de la nuit, vêtu des lambeaux d’un récit rapiécé qui enchante cependant ma vie. Il raconte, drapeau blanc, mon appartenance à l’espèce mais ne me réchauffe guère.
Il me faut aller tête baissée dedans le brasier, lever la tête qui est dans ma tête, regarder à gauche, regarder à droite, prendre et déposer comme l’abeille le fait avec la fleur du pommier cet autre dont j’ai besoin, dans un monde sans image, et ensemencer la page qui peine à faire voir le feu dont on est fait.
Le roncier s’est refermé derrière moi, je ne reverrai plus la clairière patiemment dégagée. Il me faut recommencer.

Jean Prod’hom

Dimanche 28 février 2010

L’eau noie les songes creux et dissémine les pensées qu’on croyait éternelles. Demeurent nos vies qui s’allègent jusqu’à la ruine et pour lesquelles on mendiera un jour encore.
J’aperçois le vieux qui brasse la neige, seul dans le bois, il va à la lisière visiter ses abeilles qu’on entend lorsque le soleil guigne. Les ruches enflamment une dernière fois les alentours. Sera-t-il avec elles ce printemps?
Comment rassembler les promesses qui débordent avec les mots d’avant? Comment contenir ce qui va sans se retourner? Je demeure en retrait et assiste à la poussée de ce à quoi je serai peut-être convié.

Jean Prod’hom

Vent debout

J’ai fait ce soir la connaissance d’un poisson aux écailles bleues et aux reflets d’argent, arc-bouté dans un aquarium domestique, debout contre le courant engendré par un moteur à quatre-sous. Sa nageoire caudale, soyeuse, qui allait et venait sans discontinuer, le maintenait immobile au milieu de l’aquarium, il ne ménageait pas ses efforts pour demeurer dans cet équilibre précaire. Sans relâche. Mais qui donc a osé mettre en scène cet édifiant spectacle?
Courageux, je songe un bref instant à vider l’aquarium pour abréger une vie qui n’en a que le nom. Mais que dirait le propriétaire? Je m’approche alors de l’animal, me penche et, à voix basse, le supplie de bien vouloir fermer les yeux sur ce que je ne suis plus en mesure de supporter : sans succès!
Je quitte l’insensé, défait, remonte la Rue de la Farce jusque chez moi, sous la pluie et contre le vent, les yeux rivés aux pavés qui brillent comme des miroirs. J’entends devant la boulangerie le bruit d’un moteur, c’est celui d’un pétrin.

Jean Prod’hom