Pot au noir



C’est difficile de le dire mais je suis vivant, vivant dans un pays saccagé, le ciel nous a oubliés. On est au bout d’innombrables échecs et il n’y a plus rien, seulement un peu de vent et la solidarité qui se déchaîne dans la cour des petits hôtels. Je salue tout ceux qui suivent avec des yeux exorbités le charnier. Je vous rassure, le président n’est pas parmi les disparus, je l’ai eu au téléphone, le président a pris un moto-taxi.

J’habite sur le port. J’ai peur, mais je suis vivant et je n’ai pas honte, j’ai peur juste parce que tout s’en va et rien ne vient. C’est difficile de vous dire ce qu’on va faire, difficile de ne pas charger le premier venu, de ne pas dénoncer les petites commissions avec les amis tribaux tribords, difficile d’assumer la débandade. Je ne sais pas ce que nous allons faire, quoi ? difficile d’être clair dans les propos, difficile d’être cohérent.

Son chauffeur le lui a dit, dans certains quartiers on a hissé de nouveaux drapeaux. Ils ne sont pas tombés du ciel, ils indiquent d’où vient le vent. Je reste, il y a quelque chose à faire mais je ne sais pas quoi. On veut et on va vivre, comment je n’en ai aucune idée. Tout le monde est parti reste la charité, on est entre nous, je le dis c’est indécent, tout le monde savait, j’en veux à tout le monde mais l’heure n’est pas à la réplique.

Le sénateur était au parlement, il a perdu quatre agents de sa sécurité qui étaient là, qui travaillaient avec lui, alors laissez le dire, le lendemain il était à la radio, il en appelé à la bonne volonté de tous, il ne veut pas savoir qui a fait quoi, moi non plus, mais pourra-t-on pardonner ? Ce sera le salut ou le naufrage, il faut parler, ne pas laisser le silence faire le nid des arrière-pensées.

Quand on s’est réveillé il n’y avait plus d’école, on a voulu sortir les plans des tiroirs et il n’y avait plus ni plan ni tiroir, les archives sont détruites et tout le monde accourt. Pourquoi ça ne marche pas cette masse de dollars ? On a ingurgité un poison. Reste à sauver quelques vies et retrouver quelques miettes de notre passé.

Ça va et ça vient, les géants de la diplomatie et de la charité sont là, ils sont douchés à cette heure, ils nous aident à sauver ce qu’on peut sauver, on a le temps, il sera toujours assez tôt pour vendre notre terre. Et pour le moment notre terre on s’en fout.

Les gens de l’autre côté de la mer s’agitent, ils ont des taches d’envie sur tout le corps. Soixante lignes ont été mises à leur disposition pour qu’on ne soit pas seul. Ce sont les banques qui donnent le plus et les entreprises de télécommunications, et tous les appels sont bouleversants, remplis de simplicité. Les gens ont juste envie d’aider, ils ne veulent pas polémiquer, juste donner de l’argent, alors laissez-les donner, c’est une des plus belles journées de récolte de fonds, ils se sentent en harmonie et en communion totale avec nos morts. Ils pleurent, ici plus une goutte d’eau.

Mais demain si rien ne change on attaquera les camions, on ôtera à ceux qui ne veulent pas de nous le sentiment d’être des nôtres, on les foutra dehors, c’est une déclaration de guerre, nous avons faim, nous sommes des têtes pourries.

Jean Prod’hom
RSR1 / Forum, / Lundi 21 janvier 2010

Un peu avant la fin

Enclavée
au coeur du pire
assiégée coupée de tout
la paix

le voile se déchire
plumes lacs de pierre
turquoises et panaches
cortèges livres sacrés
mosaïques
tout cela va disparaître
c’est la fin d’un rêve

les exilés ont triomphé un instant
embarqués sur les flots
on les appelait sur le plateau
les héritiers ou les tard venus
en souvenir de leur lointaine migration

t’ensouviens-tu

Jean Prod’hom

Dimanche 24 janvier 2010

Je n’irai pas à Lourdes déposer mes difficultés, mes questions, mes soucis et ceux de mes proches, je ne me confierai pas à la Vierge Marie qui « médite toutes ces choses dans son coeur » et les transmet à son Fils. Je n’irai ni en pèlerin-malade, ni en hospitalier, ni en pèlerin heureux, ni en avion ni en train blanc de Sion ou de Genève, ni de jour ni de nuit, ni en car, je ne partirai ni dimanche ni lundi, je ne bénéficierai pas des offres préférentielles liées à mon âge et à mon état, je ne verserai pas les 14 francs pour l’assurance accident, décès, invalidité et frais de guérison, ni les 30 francs pour l’assurance annulation qui m’aurait évité de payer les 600 francs de couverture en cas d’empêchement de dernière minute. Je ne bénéficierai pas du transport de la gare ou de l’aéroport à l’hôtel et vice-versa, du logement dans de bons hôtels de rang moyen, des insignes, des documents, des pourboires et des taxes de séjour compris dans ce beau forfait voyage – à l’exception des boissons c’est bien de l’avoir précisé. Je ne préparerai pas ce pique-nique que vous avez conseillé aux usagers du car – c’est à l’entreprise Etoile filante que serait allée ma préférence.
Chers pèlerins, je ne vous retrouverai donc pas sur le seuil de la Grotte de Massabielle en mai prochain. Ce n’est pas parce que je n’en ai pas envie, ou que je ne trouve pas de solides et hautes raison, ce voyage à Lourdes est à coup sûr une immense expérience pour celui qui l’entreprend, qu’il soit malade ou pas.
Mais qu’on doive s’y rendre en prévoyant un billet de retour me bouleverse. Si je suis amené à faire un jour ce voyage à Lourdes, c’est d’abord pour ne pas en revenir comme je m’y suis rendu. Je ne veux pas de forfait aller-retour, je ne veux pas de forfait, je ne veux pas d’assurance sinon celle que j’en reviendrai par d’autres chemins.

Jean Prod’hom