XLIX

Ce matin il fait un temps à se balader. Anatole me propose d’aller faire quelques pas du côté de la Mussilly. On quitte donc la terrasse déserte du café en direction de la déchetterie. Anatole en profite pour me raconter ses dernières infidélités et me présenter l’enjeu de sa prochaine publication qui fait état des études – il n’en a recensé aucune autre que les siennes – sur les représentations de Charles le Téméraire dans la peinture vaudoise du XXème siècle. Et puis il m’avoue au détour de la laiterie que les charges du château lui pèsent parfois. Soudain on entend le chant d’un coq, rauque et lointain, vieux coq vraisemblablement, un cri désespéré. Anatole respire profondément et sourit.
– Tiens! la basse-cour s’éveille!
Je rectifie.
– Non! c’est Jean-Rémy qui marque son territoire.

Jean Prod’hom

Procession

lI le projette avec force par-dessus le chemin, par-dessus les aulnes et la viorne, dans les herbes qui bordent la rivière. Il jette un coup d’oeil à gauche puis à droite avant de se faufiler, son corps le suit. Où est tombé le galet? Et l’enfant dans l’herbe folle? Il cherche, s’empare du bel ovale qu’il glisse dans sa poche. Le galet fait le dos rond, il suit l’enfant qui lui serre la main.
Une voix de jadis, buissonnière, accompagne leur course capricieuse sur le dos des talus, le long du ruban liquide qui se déroule dans les mousses et les feuilles mortes. C’est une parabole sur la pente de laquelle l’esprit de l’enfant glisse de clos en clos. Sa main se desserre et le galet luit à nouveau.
Tous trois descendent au village dont on aperçoit le clocher, l’enfant, le galet et la rivière, c’est une foule qui s’en va, sans détour, qui grossit loin de toute demeure et qui sourit gorgée de promesses. Le temps s’enroule autour du petit groupe avant de rouler dans la plaine. Leur insouciance les met à l’abri du pathétique.
Ils n’interrompent pas leur course, filent, rameutent les riverains et vont rejoindre les pluviers et les barges à queue noire du delta.
Resté en arrière, près de la retenue, le silence fait miroiter dans le ciel le souvenir des forces qui vont, les nuages qui viennent.

Jean Prod’hom

Ce n’est pas rien

Tirée vers le bas, pressée vers le haut, humilité et ambition, modestie et pénétration, elle toussote. Elle cherche la ligne de faîte où demeurer, elle tâtonne. Elle persévère aujourd’hui avec la folle obstination de celle qui sait que ce à quoi elle tient a disparu un nombre incalculable de fois, C’était en d’autres lieux et ils sont morts. Tout compte fait il convient de poursuivre sur cette ligne de partage qu’elle tire à elle chaque matin lorsque le soleil l’attend sur le seuil pour accompagner ses premiers pas dans la démesure du jour et à laquelle une foi très ancienne l’a convaincue de demeurer fidèle.
– Je ne te lâcherai pas tant que tu me chercheras, dit la montagne.

Jean Prod’hom