Mur de Claro

à Joachim Séné

Je me livre à des ajustements continus pour demeurer en équilibre, à bonne distance de tout et de rien, que ce soit dans les lieux discrédités, les lieux quelconques, les Champs-Elysées, que ce soit là où on est séparés, de midi à minuit, sur les chemins de crête qu’emprunte l’esprit lorsqu’il dispose enfin de la plus étroite des marges. Abandonné le haut et le bas, le rêve de rejoindre les constellations d’où l’on voit le grain rejoindre l’ivraie, loin des poussières et des lettres qui avalent nos existences et leur livrent l’inconfortable sensation que quelque chose nous a déjà filé entre les doigts.
On ne soupçonne pas en ces lieux de tels dangers. N’est-ce pas? Lorsque le vrai n’offre plus l’intérêt que le culte collectif d’une raison étroite lui a prêté: il aurait pu en être autrement.
Ensemble le concept enveloppe ce qui est et ce qui aurait pu être, nous voici plongés aux sources. Je n’avancerai plus comme le cheval de l’échiquier qui ânonne masqué, caché derrière le roi, la reine et les fous. Je resterai quelle que soit ma crinière à mi-chemin des nuages et du bitume.

Jean Prod’hom

Repiqué
Alain Veinstein
« Jacques Dupin »,
Du jour au lendemain
France Culture
15 juin 2007

XLV

Les vastes maisons de luxe que désertent toute la journée les géants de la finance pour piller les richesses du monde ont infiniment moins de valeur que les taudis de quelques mètres carrés que ne quittent pas du matin au soir les miséreux.
Deux solutions à cette situation inacceptable: la première consiste à remettre les vastes maisons de luxe aux miséreux et les taudis aux riches qui ne sont jamais chez eux, la seconde à augmenter significativement les loyers des taudis et abaisser drastiquement ceux des maisons de luxe. Comme je le craignais, la seconde solution remporte les suffrages.

Jean Prod’hom

Un détour par le ciel

Je cherche un chemin praticable à travers l’hétéroclite qui se renouvelle pour mon malheur à chaque instant sous mes pas: aucune ouverture, seulement du bleu, de la ferraille, du léger, du jaune, la fatigue, du rouge, de la monnaie, puis de la vapeur d’eau, un brouillon, quelques promesses, la crasse du clavier, une haie de thuyas, le lourd, le chaud, l’ennui, des containers, une branche du bouleau qui se balance, le silence, des raisins secs, la nuit, le chuintement d’une chasse d’eau, des horaires, deux nuages joufflus, l’inquiétude qui me saisit de ne pas être à la hauteur, le claquement des mocassins de Michel, un arc-en-ciel, l’après-midi, le soupir de ma voisine, les feuilles mortes, une bibliothèque, l’interminable,… Submergé.
Pas de répit, je le dois, j’insiste, je survis, aucune raison que ça ne s’arrête, damné, je n’en ferai donc pas façon.
J’aperçois soudain l’ouverture qui me guettait du coeur de cette grande décharge qu’est le monde, elle est comme celle du sous-bois dans laquelle disparaît le merle des Censières. Je le suis, m’envole et surplombe l’hétéroclite qui s’apparie morceau par morceau. Je ne distingue bientôt plus les coutures des pièces éparses du puzzle mais un nouveau chemin que je rejoins, saute du sommet de la haie à la branche du bouleau en jetant un coup d’oeil du côté d’une salle presque vide où j’aperçois les yeux heureux d’un homme qui rit de mes cabrioles. J’en rajoute un peu, saute du coq à l’âne, froisse les feuilles mortes, monte sur le dos de l’arc-en-ciel. Il rit, lance quelques raisins secs par la fenêtre, je l’ai raccommodé avec l’hétéroclite.

Jean Prod’hom