Idylle

La nuit ne s’oppose pas au jour puisqu’elle n’est que l’ombre de la terre. C’est ensemble qu’au crépuscule la nuit tombe avec le jour, mêlés d’abord comme des amants, chacun pour soi ensuite, le jour cédant sa place à la nuit.
Puis à l’aube le jour se lève, mais as-tu vu de tes propres yeux la nuit se lever?
La nuit tomberait-elle deux fois?

La lumière du jour est une poche dans la nuit galactique, quant à la nuit terrestre, elle est comme une seconde poche. J’ai peine à penser qu’on puisse les retrousser toutes deux, pas plus que je ne suis capable d’imaginer une perle dans une huître close.

La terre est meuble, ronde et chaude, elle a tenu ses promesses. Je fais ce matin quelques pas sur le chemin du Bois Vuacoz pour me rappeler des miennes et me réjouir des travaux et des jours.

Jean Prod’hom

XXXI

Il fait toujours bon dans sa maison, ni trop chaud ni trop froid. Admiratif, je m’enquiers auprès de cet ami qui m’apprend que l’isolation de son logis n’est constituée ni de sagex ni de laine de verre, mais des invendus que Garnier-Flammarion lui a vendus en 1995 pour une bouchée de pain.
Qu’on ne s’y méprenne pas, il s’agit là peut-être de la première démonstration, solide et incontestable, du rôle effectif de la littérature dans la société, la première parmi les innombrables démonstrations que tant de littérateurs se sont ingéniés à concevoir pour justifier une activité dont on ne distingue pas immédiatement et clairement, c’est le moins que l’on puisse dire, la nécessité.

Jean Prod’hom

On remballe en silence

Le vieil apiculteur qu’on aperçoit depuis le banc de la Mussily se retourne et fait un signe imperceptible de la main. Il s’affaire autour de ses abeilles, c’est la fin, il n’en attend plus rien, il remballe. Jusqu’au printemps prochain le rouge, le vert, le bleu, l’ocre de ses dix-huit ruches ne coloreront plus la lisière.
Un signe de la main encore, discret, silencieux avant qu’il ne s’éloigne au volant de sa vieille jeep derrière laquelle une remorque traîne comme un arc-en-ciel quelques morceaux du tableau de la belle saison.
Rien n’a changé dans le bois et sur l’esplanade du refuge de Corcelles, les bruits se mêlent, celui des pas sur le gravier qui crisse comme du verre pilé, celui du vent à la cime les feuillus qui agitent les bras, le bruissement des feuilles chiffonnées à leurs pieds, le ronflement lointain des voitures sur la Route des Paysans, l’eau abondante qui tombe du goulot de fonte et qui claque dans le bassin, le bourdon d’une invisible armée de guêpes, la colère rentrée des avions qui labourent le ciel, l’appel des quelques oiseaux qui se sont partagé le quartier…
Des bruits bien distincts tissant un filet sans bord, qui agit comme une main sur l’assourdissant silence qui pousse, pousse par en dessous.

Jean Prod’hom