Un collier de disparates

On y va tous d’un air entendu, mais on y va à cloche-pied, de rien en rien, inspiration expiration, sur une marelle sans clocheton ni pinacle, aux fondations anciennes, incompréhensibles je le crains, une marelle sans toit et aux dimensions de Babel.
Le sachant on avancera chaque jour à reculons et on verra le jour se plier et n’en rien laisser. Ou face à ces riens qui font se dresser ce qui se tait en nous, on retiendra un grain chaque jour, chaque mois, un seul, quel qu’il soit, soutiré avec peine aux bons tours que nous joue la durée pour en tirer un camée ou un collier de disparates.

Les bras du saule s’agitent au milieu de la pelouse, il est 17 heures et c’est l’heure, il faut manger, tourner la clé de la boîte à musique, fermer les volets, ils s’endorment.
C’est l’heure que choisissent les forains pour frapper à la porte du sommeil, avec eux les lumières, les frayeurs, les équilibres précaires, le clown blanc, le vertige, les rires, les fauves, la nuit.
Rêvez enfants! Montez pour un tour sur le carrousel et les chevaux de bois de la nuit. Demain il n’en restera rien, à moins qu’un grain ne vous ouvre la voie du disparate.

Jean Prod’hom

XXVIII

Le petit garçon a perdu ses parents dans un accident de voiture en octobre de l’année passée. Cet événement tragique a eu des effets importants sur les apprentissages scolaires de cet élève de dix ans ans qui n’échoue certes pas son année, mais qu’il serait suicidaire, aux dires de ses deux enseignantes, d’envoyer en 4ème année primaire. En conséquence, la Conférence des maîtres a proposé lors de sa séance du 12 juin que le petit garçon refasse son année, ajoutant toutefois que c’était aux parents que revenait la décision finale.
Nous sommes le 16 juillet et la Direction regrette qu’aucune lettre ne lui soit encore parvenue.

Jean Prod’hom

La belle échappée

Comment en douter? Le réel est bien là où il est et il a horreur du vide. Qu’on en convienne ou qu’on s’obstine à batailler contre l’évidence suppose qu’on s’en soit extrait un jour d’une manière ou d’une autre – ou qu’on l’ait souhaité – avec l’intention d’avoir enfin les coudées suffisamment franches et en témoigner.

Une heureuse perspective en guise de viatique, ou une hésitation à laquelle on prend finalement garde, une rengaine au coin d’une rue, une ombre, une erreur même, ou le presque rien qui fait croire un instant qu’on a mis la main sur le fil d’Ariane, fil d’or, oripeau ou peau de chagrin, c’est le sésame de l’échappée belle.

Une attention soutenue à l’un ou l’autre de ces presque riens détournés de l’immédiat auxquels on a refusé qu’ils avancent sur leur erre, et nous voilà seul, avec une pensée orpheline dans les mains, sous les yeux, qui étoile en tous sens, outrepassant les marges du réel et qui l’éclaire en retour.

Jean Prod’hom