XXVIII

Le petit garçon a perdu ses parents dans un accident de voiture en octobre de l’année passée. Cet événement tragique a eu des effets importants sur les apprentissages scolaires de cet élève de dix ans ans qui n’échoue certes pas son année, mais qu’il serait suicidaire, aux dires de ses deux enseignantes, d’envoyer en 4ème année primaire. En conséquence, la Conférence des maîtres a proposé lors de sa séance du 12 juin que le petit garçon refasse son année, ajoutant toutefois que c’était aux parents que revenait la décision finale.
Nous sommes le 16 juillet et la Direction regrette qu’aucune lettre ne lui soit encore parvenue.

Jean Prod’hom

La belle échappée

Comment en douter? Le réel est bien là où il est et il a horreur du vide. Qu’on en convienne ou qu’on s’obstine à batailler contre l’évidence suppose qu’on s’en soit extrait un jour d’une manière ou d’une autre – ou qu’on l’ait souhaité – avec l’intention d’avoir enfin les coudées suffisamment franches et en témoigner.

Une heureuse perspective en guise de viatique, ou une hésitation à laquelle on prend finalement garde, une rengaine au coin d’une rue, une ombre, une erreur même, ou le presque rien qui fait croire un instant qu’on a mis la main sur le fil d’Ariane, fil d’or, oripeau ou peau de chagrin, c’est le sésame de l’échappée belle.

Une attention soutenue à l’un ou l’autre de ces presque riens détournés de l’immédiat auxquels on a refusé qu’ils avancent sur leur erre, et nous voilà seul, avec une pensée orpheline dans les mains, sous les yeux, qui étoile en tous sens, outrepassant les marges du réel et qui l’éclaire en retour.

Jean Prod’hom

Dimanche 12 juillet 2009

Tandis que la marée remontait l’estuaire de l’Odet aussi haut que le ciel le lui permettait, l’océan envoyait ses messagers sur les bords du Steïr et du Jet, puis au-delà de l’immense étoile bleu sombre qui s’était formée, quelques goélands qui pénétrèrent loin dans les terres, crièrent dans leur langue l’inouï, tournoyant fous et furieux au dessus des barres de la ville, hochèrent une dernière fois leur tête tordue comme des chevaux contrariés avant de s’en retourner à tire-d’aile, muets, vers l’océan qui ne les avait pas attendus.

Jean Prod’hom