Dimanche 31 mai 2009

Il songe à ce qui pourrait fournir une image approchée de sa condition, le voici à la barre d’un rafiot de moins de dix mètres, ses compagnons d’équipage ivres et épuisés. N’en pouvant plus de regarder fixement dans la nuit la boussole pour maintenir le cap, il s’était étendu sur la banquette arrière, calé contre les reins de l’Ecume de mer tenant l’âme du bateau et les vies des ses amis dans la main droite, il avait navigué dans le ciel, parmi les étoiles, jusqu’à Termoli.

Il se dit réaliste lorsqu’il bêche son coin de jardin, roule sur le plateau de Sainte-Catherine ou prépare de la purée de pomme de terre, idéaliste lorsqu’il pense à ses origines, à sa vie et à sa fin. S’il est convaincu qu’il ne restera rien de son corps malgré les promesses qui lui ont été faites naguère, il juge fort probable qu’un peu de son âme et quelques pensées en exercice veilleront et frémiront lorsque ceux qui resteront essaieront de comprendre dans le miroir leur image surgie de nulle part, lorsqu’ils apercevront par la fenêtre les généreuses traînées de crème dans le ciel et le miel abondant du mois de juin.
Les choses tiennent ensemble par la grâce des âmes invisibles qui les agrègent et des pensées innombrables qui les trament.

Jean Prod’hom

ὕβρις

La lumière verticale qu’a dirigée la conscience européenne sur certaines régions de l’être tout au long de son histoire a levé une ombre toujours plus dense en son pourtour qu’on ne perçoit plus qu’avec peine et qu’on n’apercevra tout simplement bientôt plus, aveuglés que nous sommes par des découvertes éclatantes dans un territoire dont on a cru trop vite qu’il constituait le tout de notre expérience.
Le philosophe de Iena nous avait pourtant dûment appris que la rationalité ne constituait pas l’ensemble du réel, mais pouvait-il imaginer que ce qui échappait à l’emprise de la raison, le réel, retournât à sa nuit primitive poussé par la raison qui s’en était péniblement arrachée? Les avertissements de la philosophie ne nous tiennent plus désormais à l’abri de cette nouvelle menace.

Mais gardons-nous de diriger sans précaution nos projecteurs en direction du continent infini de cette ancienne nuit qui circonscrit notre raison et dont n’est sortie avec peine qu’une infime partie de ce que l’on est, l’esprit. La déraison guette à nouveau. Il nous faut apprivoiser de rien à rien cette nuit d’encre et réaménager sobrement les anciennes marges. A trop en vouloir, à prendre de trop haut la nuit nous risquerions de blesser les dieux.

L’homme est à l’image de ces lacs d’altitude menacés par les montagnes sans lesquelles ils ne seraient pas, dans lesquels se mirent l’alpha et l’oméga du ciel, une ïle.

Jean Prod’hom

10



S’il s’abandonne chaque jour au silence sans fond de la nuit, les mains vides, avec une confiance aveugle, comme autrefois le saint à celui de son martyre, il s’abandonne aussi parfois à la folie du jour, les mains ouvertes, et traverse les heures tête nue, comme l’enfant, comme le rêve traverse la nuit.

Jean Prod’hom