Dimanche 10 mai 2009

Le soleil s’attarde sur nos laines, le retard nous inquiète peu aujourd’hui, on s’éprend de l’air léger qui fait frissonner les prés. A la station du bus orange qui emmène les enfants du quartier, la conductrice me sourit, je lui souris. Elle me dit alors avec une légère ivresse dans la voix que cette brise, ces couleurs, ce soleil la rendent folle à l’approche de la Pentecôte, chaque année, l’horizon si proche, les Verraux, la Dent de Jaman…
– Tu sais! ajoute-t-elle.
Je sais, mais elle me raconte l’histoire encore une fois: y a cinq ans, sur l’étroit chemin qui conduit le promeneur du col de Jaman au col de Pierra Perchia, son fils a glissé sur les restes de l’hiver, un névé à la traîne oublié au travers de la sente par la comète de mai. Il a perdu pied et il est mort. Quelle terreur avant de le retrouver, c’était le samedi de la Pentecôte. La veille je voulais lui offrir des fleurs roses pour son nouvel appartement. Pourquoi pas des noirs? avait-il plaisanté. Elle en rit encore.
Je ne me suis jamais rendue sur le lieu de l’accident, il n’a plus grandi. Elle, elle vieillit le regard rivé sur le point de ce désastre, une image, non pas qu’elle espère la réapparition de son enfant, mais parce qu’elle ne doute plus de l’innocence de la montagne et reconnaît sa toute puissance.

Il faisait un temps comme aujourd’hui ce samedi-là. L’impensable est si beau et si terrible. Ses yeux s’embuent. Les enfants arriveront avec un peu de retard, un retard qui ne compte pas au regard de ce qui s’est arrêté.

Tous les matins, lorsque le ciel est dégagé et que le soleil claire la vallée de la Broye du Haut-Jorat aux Préalpes, elle et son mari regardent du côté de la Cape au Moine. On ne se dit rien, rien, on n’oublie pas pourtant, mais quoi je l’ignore. Que cherche-t-on dans les plis de ces montagnes? quelque chose qui se décline en-deça des quelques pauvres modes possibles de l’être, quelque chose comme un silence d’avant la respiration, gonflé de promesses nues. Pour peu qu’on n’y prenne pas garde, qu’on se laisse aller, que nos regards s’attardent sur le visage de l’horizon, on fond d’amour pour la montagne qui nous l’a dérobé.

Nous ne sommes pas les seuls, il y en d’autres… conclut-elle. J’aurais voulu lui dire que chacun d’entre nous compte les jours à partir de son hégire. J’ai laissé les montagnes s’éloigner avec leur secret et le bus orange emporter nos enfants.

Jean Prod’hom

Futur antérieur

L’ivresse qu’apportent en mai les fleurs du lilas ne parviennent pas à me ramener sur les vieux chemins et à entrouvrir les portails des jardins de l’enfance. Ni les fleurs de l’acacia ni celles bientôt du tilleul ne me permettront d’obtenir de rendez-vous par-delà le temps perdu avec ce qui n’a fait que passer et dont j’étais trop assuré autrefois qu’il reviendrait.

Quand les parfums opalins et laiteux de la rose et du chèvrefeuille me font signe, que je tente de m’en approcher et qu’ils se retirent avec la même nécessité – aveugle et obstinée – que celle qui oblige l’escargot biborne à rentrer ses cornes, je regarde à l’orient du côté des montagnes au collet enneigé, espérant saisir dans l’immobilité de la pierre ce qui s’est dérobé.
Je connais leur nom: Dent de Lys et Cape au Moine, Brenleire et Folliéran, mais elles ne m’ont pas attendu, ont quitté l’horizon et continuent sans moi. Je voudrais les rejoindre, sachant pourtant à l’instant même où je m’y apprête que ce que je leur prête, la promesse d’un bonheur absolu née ici même d’un éloignement continué se dérobe comme les fragrances de mai.
Il ne s’agit pourtant ni d’un rêve ni d’un mirage, mais de la réalité dont je dois me satisfaire, une combe et un parfum, une consolation, le souvenir de ce qui aura été.

Jean Prod’hom

Cohorte Ensemble d’individus suivis chronologiquement, à partir d’un temps initial donné, dans le cadre d’une étude épidémiologique.

Larousse médical 1998

Cohors, tis, f ( cf. hortus, χόρτος )
1 enclos, cour de ferme, basse-cour…
2 troupe [en gén.]: cohors amicorum… cortège d’amis; cohors illa Socratica… l’école de Socrate; cohors canum… meute de chiens; cohors febrium … l’essaim des fièvres…
3 [en part.] a) cohorte, la dixième partie de la légion… b) troupe auxiliaire… c) a,rmée…

Dictionnaire illustré Latin – Français, Félix Gaffiot, 1934

χόρτος, ου ( ὁ )
I lieu entouré d’arbres et de haies, enceinte: 1 enceinte d’une cour… 2 p. ext. sans idée de clôture, repaire de bêtes féroces…
II herbe… 1 fourrage vert ou sec… χόρτον ἔχει ἐπὶ τοῦ κέρατος, PLUT. Crass. 7… il a du foin aux cornes, c. à d. il est dangereux, p. allus. à la coutume de mettre du foin aux cornes des boeufs dangereux pour avertir les passants de s’en garer 2 p. ext. paille légère, balle… 3 plante alimentaire… 4 pâtures des animaux… 5 p. ext. nourriture grossière…

Dictionnaire Grec – Français, Anatole Bailly, 1950

XVIII

– Sale temps! renifle le cadre d’une petite entreprise locale assis près du poêle, les yeux vitreux, le regard vide.
Il se plaint laconiquement de son carnet de commandes, vide, la tête aussi, vide. Devant lui un verre vide. Et puis, pour couronner le vide dont il est l’animateur attentif, le nez plein.

Jean Prod’hom