XVI

Il appartient au règne animal, c’est évident, il en a absolument toutes les caractéristiques. On craint cependant qu’il soit le théâtre d’une bifurcation évolutive. Car s’il est l’être le plus sot, le plus suffisant, le plus arrogant et le plus offensant pour l’humanité qu’il nous ait été de rencontrer, il est peut-être parmi nous, la science ne l’exclut pas, celui qui est le mieux adapté au monde dans lequel nous vivons. Personne ne l’espère évidemment, mais la tragédie darwinienne veut qu’on n’y puisse rien.

Jean Prod’hom


Oui

à l’inachevé lorsqu’il ne ronge pas
aux coquelicots
aux petits bonheurs qui faufilent nos jours
au doute de l’adolescent et aux limbes
aux instants qui bordent à gauche et à droite le réveil
aux chemins de dévestiture et aux geais
aux aires d’autoroute
aux entre-saisons
à la mémoire dont je ne sais rien et aux dernières cerises
au silence des muets et aux talus
aux marges généreuses
au chat qui somnole
au livre oublié dans la bibliothèque qu’on lira un jour
à la source qui s’essouffle
aux faux-plats au lézard
à l’eau qui dilate le corps lorsqu’on la boit
aux passeurs aux marges généreuses
aux photos jaunies aux bisses qui scintillent
aux rêves du cancre et du prisonnier
aux portes entrouvertes et aux pattes d’oie
à la sieste de l’ouvrier à l’étang à la tourbe
au travail bientôt terminé au jeudi saint
aux rémissions sans fin et aux bornes oubliées
au baiser volé à l’écho aux lambris délavés
à l’odeur du pain dans le fournil et aux trouées du ciel
à la frontière incertaine entre entre la terre et le ciel la terre et l’eau
à la brume d’octobre d’où sortent des cris d’oiseaux
à la persévérance à la tempérance
aux empreintes du pèlerin dans la boue
à celles du chevreuil dans la neige
à l’ancolie à l’adoration des bergers
au bluet et aux méandres du fleuve
aux fins d’après-midi aux églises vides
à la pénombre au chant du coq
au vent tiède au thé avant le lever du jour
au grain de la molasse

Jean Prod’hom

Dimanche 19 avril 2009

Tandis que que toute morale aristocratique naît d’une affirmation triomphante d’elle-même, la morale des esclaves dès le principe dit « non » à un dehors, à un « autre », à un « non-moi »: et ce « non » est son action créatrice.

Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la Morale, 1, X

En renonçant au mode réactif – au oui mais –, par une profession de foi d’abord, par honnêteté ou nécessité ensuite, on se condamne à l’action et à l’exercice de l’assentiment.
Mais peut-on raisonnablement aujourd’hui se livrer au grand oui, celui dont Nietzsche a fait le signe de ralliement des musiciens, des poètes, des hommes libres et solitaires, le oui des voltigeurs? Ne sommes-nous pas les obligés d’une nouvelle donne qui nous invite, sans jamais nous précipiter dans le ressentiment, à nous faire les chantres du petit oui, le oui murmuré, à peine solitaire, le oui sans écho, modeste, le oui qui dure, le oui de la petite métaphore et de l’incomplet, un peu négligé, le oui élémentaire auquel le corps s’abandonne lorsque l’âme projette celui-ci en avant?
Peut-on espérer un traité des petits ouis? de ceux qui qui ponctuent le provisoire continué au sein duquel l’homme est immergé avant même qu’il ne marche?
Sera-t-on à même de donner notre assentiment complet aux petits ouis?

Jean Prod’hom