Nous irons à pied

– Consommez, consommons!
– Consomme, consommons, consommez! pour que l’on maintienne à tout prix la pente de notre croissance, et la qualité de notre vie actuelle. Et entendez, je vous prie, la raison de ce principe et les dangers que nos sociétés avancées pourraient courir si elles n’honoraient pas ce mot d’ordre!
Pourtant, ce principe lancé à l’unisson par tout ceux qui comptent dans notre monde, me plonge dans une espèce de stupéfaction effrayée, comparable à celle que j’ai éprouvée un jour – c’était un dimanche à Bursins – en voyant un bus rempli d’enfants lancé à toute allure contre un mur; il n’y avait bel et bien aucune autre issue que le mur pour l’arrêter. J’aurais voulu ce jour-là que le bus ne fût pas parti.
Stupéfait, effrayé, je désarme donc devant ceux qui savent et leurs litanies, qui ont la consistance de ces mots obscurs qui tympanisent certains de nos rêves et qu’on se réjouit de voir s’éloigner à l’aube. Mais cette liturgie est bien réelle et ce sont mes rêves qui s’éloignent le matin.
La tête me tourne, car lorsque je me retourne, le soir, pour considérer ce qui reste de ce qui n’est plus, ce qui m’a réjoui, la paix et la confiance indispensables à l’accomplissement du saut inquiétant dans la nuit, je ne vois presque rien: une ou deux choses sans prix: une attention, un geste, une odeur, un mot,… des riens qui n’appartiennent pas aux rayons de nos consommations.
Et ma raison tremble car j’ai la conviction que nous nous ressemblons, et qu’à côté de nos besoins élémentaires, nous ne sommes comblés que par des choses sans prx, la paix et la confiance, hors de prix.
Nous irons désormais à pied.

Jean Prod’hom

Football

Je regarde parfois les matches de foot de la Ligue des Champions. Avec un double sentiment, celui certes de prendre du bon temps en me retirant, une heure et demie durant, des affaires qui occupent mon esprit – mes inquiétudes, mes projets, mes passions, mes peines,… -, mais aussi avec l’étrange impression de m’écarter de quelque chose d’essentiel, ce qui précisément me constitue. Je me retrouve alors encalminé sur les bas-côtés de la « vraie » vie, prisonnier d’une sotte conviction, celle de croire qu’il va se passer quelque chose d’extraordinaire, et qu’il me faut rester là, médusé, jusqu’à la fin.
Les rideaux se baissent, je me lève alors du fauteuil dans le ventre duquel j’ai vécu, amiotique, amnésique, j’éteins les projecteurs, traverse l’obscurité. Je me réjouis alors du silence dont les plis enveloppent ceux que j’aime, un silence qui tressaille, un silence qui tremble, inentamé, « le silence de quelqu’un qui est sur le point de parler ».

Jean Prod’hom

La honte

Une honte ? Vraiment?
Mais à quel titre, bon dieu, les journalistes se permettent-ils de disqualifier ceux qui se sont livrés corps et âme à leur passion et à celle de leur public? Qui sont-ils? Qui sommes-nous ? Des héros?
De leur côté, à deux pas, les uns jubilent. Les vois-tu? Ils sont dans le miroir et ils te disent avec la naïveté de ceux qui aiment:
– On s’est livré corps et âme! On aurait pu perdre, on a gagné!
Doivent-ils le regretter? Ils ne t’entendent pas, les gagnants font la fête. Applaudissons! Et allons à l’essentiel… là où tout le monde gagne.
Je suis un maître d’école, je fais au mieux, ce n’est pas simple, tu es un élève, tu fais au mieux, c’est difficile. Mais n’est-on pas sous le même toit?
Tu perds la partie, ne sois pas aigre! je perds ipso facto la mienne. As-tu compris?
Tu comprends et tu avances, tu creuses, tu découvres, je te suis, j’ai fait mon travail, tu as fait le tien, personne n’a perdu, on a gagné. Inouï!
Inouï, il existe des jeux où tout le monde gagne et nous le savons désormais.

Jean Prod’hom