C10

Mézières / 9 heures

Ce soir c’est réunion de parents. J’y retrouve pour une petite heure l’école quittée avant l’été; de très loin. Les murs tiennent debout, tout est bien organisé, partout de la bonne volonté; mais aussi une espèce de crainte sur les visages, diffuse, dont je peine à identifier l’objet, comme si quelque chose s’était échappé du bâtiment, je ne sais pas quoi, j’ai beau me pencher, chercher, rien ne traîne, il n’y a rien, aucune promesse, nulle part. On se demande bien comment les gamins pourront secouer les lieux demain.
En attendant que ça se termine, chacun fait bonne figure, on échange des numéros de téléphone au cas où. Il y a sur le visage des choses et des gens, une fine couche de poussière, une tristesse vieillotte. Le monde a déserté les lieux, les fenêtres sont condamnées; chacun se débat dans ses obligations, habitudes, consignes ou directives. Les sourires font à peine diversion.
Rien en effet n’est acquis, dit l’une des enseignantes, il faut toujours être prudent, la tour peut à tout moment s’effondrer. Une autre conclut la soirée: On ira, si on en a le temps, jusqu’à la guerre froide, pas au-delà.

Alte Aare

Meienried / 11 heures

Une fois, une fois encore, une fois encore de la précipitation dans l’annonce de nos morts. Trop je crois: s’y glisse une désagréable impression, ou une crainte, celle d’un malentendu irréparable, inavouable.
Les proches se taisent et pleurent leur cher disparu, les étrangers sont à la mer. Les autres s’affairent au coeur de la bataille, se concertent, ne savent de quel côté pencher; finalement ils se décident: le premier creuse, le second jardine, le troisième achète des fleurs, c’est sûr, le milieu a pris les devants et le mort ne dira plus rien.
On ne devrait pas plaisanter avec la mort, il nous faut apprendre à patienter et à silencieusement veiller nos morts. C’est seulement lorsque le faire-part sera envoyé qu’on sera un peu soulagé.
On ne devrait évoquer nos morts qu’après leur mort, après qu’ils le soient vraiment, une semaine après ce serait bien, je crois; ne t’en fais pas, on fera un cortège et, si tu le veux, tu pourra défiler juste derrière la famille, il y a de la place.

Rue du Jura

Porrentruy / 13 heures

Amnésie? – Un nom, à peine un nom. Le nom d’un pays peut-être, ou d’un parfum, d’un champignon, d’une herbe folle ou d’une fée; d’un poison, d’un jouet; d’une constellation, d’une liqueur ou d’une douceur; d’une promesse, d’une sorcière ou d’un sésame; le nom d’une lime, d’un vice ou d’une vertu; à coup sûr le nom d’une très ancienne divinité et d’un interminable voyage.