On the Lane

Clonakilty / 15 heures

D’autant qu’il n’y avait ici à Dombeg, il y a 3000 ans lorsqu’ils sont arrivés, ni lys ni hortensias, ni pâtures ni fuchsias, ni fermettes, ni vaches ni bossettes, ni murettes ni bocages, pas même des pierres levées qui auraient indiqué à ces hommes du bronze que là, s’ils daignaient patienter et attendre un peu, un signe viendrait. Alors ils ont roulé et dressé dans les jours, les mois ou, nul ne le sait, les années qui ont suivi, en cercle, dix-sept pierres en haut des terres maigres qui descendent en pente douce jusqu’à la baie de Rosscarbery; la suite est conjecture.
Il nous a fallu à nous, de Roselodge, deux grosses heures de route difficile pour y parvenir; on a parqué la Skoda à côté d’autres véhicules, en épi serré sur la butte voisine. On s’est mis ensuite à regarder, à chercher en tous sens, aucun de nous ne savait trop bien quoi. Qu’importe, on était tous là dans la même galère au milieu de rien, sur un tapis d’herbe fraîchement taillée, entourée de prairies gagnées à nouveau par des orties et des chèvrefeuilles, des ronces, des églantiers, des fougères et des épines noires; ça a duré ce que ça a duré et chacun de nous s’est éclipsé bientôt à son tour et à voix basse: les signes et les solstices on les attendrait ailleurs, chacun de notre côté. Pour autant qu’on ne les oublie pas.

Garrylucas

Kinsale / 16 heures

Il vient de Dublin et passe chaque année la seconde quinzaine de juillet dans l’un des mobilhomes mis en location par O’Connor en face du Beach Cafe de Garettstown. C’est un arrière-petit-cousin du pêcheur qui récupéra dans sa barque plus de cent passagers d’un célèbre paquebot transatlantique britannique torpillé par les Allemands dans l’après-midi du 7 mai 1915.
Il a longé comme chaque matin la côte jusqu’à Old Head of Kinsale, en mocassins vernis, socquettes blanches et chemise écossaise, tournant le dos à la bruyère et la camomille, maugréant contre les barbelés du club de golf qui l’empêchent de faire le tour de la presqu’île. Il scrute l’estran sous les falaises, avec dans la main un morceau de vaisselle qui provient, me dit-il, du Lusitana, un morceau de vaisselle un peu jauni, que l’océan n’a pu empêcher de vieillir.

Photo / Arthur Prod’hom 

Photo / Arthur Prod’hom