Bibliothèque (Célestin Freinet VII)

Riau Graubon / 12 heures

Le vin coulait dans les verres avec un glougloutement cristallin; il était d’un noir brillant tel un fruit sauvage…
– Vous pouvez faire claquer vos langues… C’est du pur jus… On dirait qu’on boit du soleil, n’est-ce pas? […] Vous parliez de la science, monsieur Long, de ce dieu nouveau qui doit apporter aux hommes une raison de vivre et le moyen aussi de réaliser la destinée qu’ils n’ont pu jusqu’à ce jour qu’imaginer et espérer.
Dans la mesure où elle nous apporte une étude impartiale, solidement basée sur l’expérience sûre, sur une documentation complète, quelque chose qui soit évident comme deux et deux font quatre, et non seulement aujourd’hui et en ce lieu, mais exact aussi dans le temps et dans l’espace, une sorte de vérité portant en elle la pérennité du divin, je considère moi aussi la science comme une grande conquête humaine, je la révère et l’appelle.
Mais, hélas, il s’agit encore là d’un idéal après lequel nous courons, d’une insaisissable clarté que nous poursuivons obstinément, [………] Il faudrait toujours dire: la science humaine, pour en marquer la faillibilité et la relative impuissance […]
Quelles garanties pouvons-nous avoir, raisonnablement, que ce qu’on nous présente aujourd’hui comme scientifique l’est plus que ce qu’on nous disait hier tout aussi scientifique pour en dénoncer ensuite impudiquement les méfaits? […]
A l’échelle de l’immédiat, au jour le jour, les hommes de science peuvent voir raison. A l’échelle de la nature et de l’humanité, leurs erreurs ne sont pas sans influence directe sur la dégénérescence et la décadence dont les événements actuels sont la conséquence.

Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
Les erreurs humaines de la science

Hermenches (Célestin Freinet VI)

Hermenches / 10 heures
– Vous ne pouvez pourtant nier que la science ait vraiment produit de grandes choses…
– Je ne nie rien, mais je ne m’ébahis pas non plus devant la magie du cinéma, de la radio, de la lumière crevant les ténèbres, de la vitesse mangeant les espaces. Je continue à trouver tout aussi merveilleux, et même plus, le mystère de la vie dans sa féconde diversité, l’explosion de la fleur qui s’ouvre, la magie de la pensée et du souvenir. Oui, j’admire le génie de l’homme, mais j’admire encore plus les miracles renouvelés dont la nature nous offre l’émouvant spectacle, et je garde, intégral, mon scepticisme sur le pouvoir virtuel de vos techniques.
Quand nous étions petits, nous aimions jouer aux nids. Nous nous appliquions à façonner l’herbe sèche, à l’entremêler de brindilles, à en adoucir la couche d’une mousse fine ou d’un tendre duvet parfois arraché à quelque vieux nid de la saison précédente. Et nous cachions notre demeure imaginaire avec une science qui semblait égaler l’instinct des oiseaux. Mais la magie s’arrêtait là: les oeufs chauds et brillants qui couvent la vie, le pépiement des oisillons, le mystère touchant des plumes recouvrant lentement la chair rose, les becs grands ouverts pour quêter la nourriture délicate, l’émotion du premier envol, nous pouvions les imaginer, mais non les imiter ni les produire. Ce qui ne nous empêchait pas de nous passionner au printemps au spectacle de la vie qui naissait au fond des nids, s’agitait, pépiait, débordait jusqu’à ce que soit accomplit le cycle.
Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
La source doit devenir torrent, rivière et fleuve