La Motte

Montpreveyres / 14 heures

Des battements d’ailes grises et d’ailes noires brouillent la pénombre et réveillent les bois; c’est une corneille qui poursuit un pigeon ramier sous les branches basses de la sapinière; le harcèle, le pousse contre le sol et l’y plaque; elle le tient immobile dans ses pinces, bat des ailes, lui pique la tête avec la régularité du métronome.
Je fais trois pas et frappe des mains avant qu’elle ne s’enhardisse et fouille ses entrailles, la corneille s’envole. Deux pas encore, le pigeon ramier fait le mort; me voici à son chevet, il rampe sous un tas de branches sèches et de ronces, me regarde de coin, me lance de sourdes menaces en faisant le gros dos. Il tente en vain de cacher son corps sous ses ailes.
La corneille qui a disparu ne va certainement pas revenir, le ramier va reprendre ses esprits, le renard ne l’aura pas remarqué et le ramier à la fin s’envolera. Je m’en vais moi aussi sans me retourner.
C’était hier après-midi, je croyais avoir oublié son oeil noir, effrayé; il me poursuit ce matin. J’y retourne, j’en reviens à l’instant, plus aucune trace, ni bruit ni plume.

Les Pervenches

Riau Graubon / 18 heures

Penser pouvoir dégager l’essence de quelque chose ou de quelqu’un en le détourant des alentours qui l’ont vu naître, des accidents qui l’ont fait, c’est se condamner tôt ou tard à choisir entre la cerise et l’oignon, un os et le vide.
On s’en approche davantage – et très concrètement – en suivant la méthode des tenants de la théologie négative, en parcourant ce qu’ils ne sont pas, ce qu’ils effleurent ou traversent, ce qui tolère leur présence et se referme sur leur absence comme la mer au passage des poissons. En acceptant de ne saisir que leur ombre.