Chemin des Censières

Lausanne  / 14 heures

C’est un chemin bétonné en haut d’une terre d’un seul tenant qui déroule son vert, tendre encore, en pente douce jusqu’à la rivière. La forêt s’accroche sur l’autre rive et remonte d’un trait, avant de baisser la tête et de la glisser sous le ciel bleu, rien ne l’arrête. On imagine plus loin d’autres terres, d’autres déserts.
Plus trace de neige dans le pré, mais dans les fonds les dépouilles laissées il y a quelques semaines par les bûcherons. Ruines, chantiers, c’est là qu’on habite, ni tout à fait hier, pas encore demain.
La vieille avance à petits pas lents, une noix dans le creux de la main, tête baissée, les yeux fixés sur le chemin; elle ralentit de temps en temps, lève la tête, la tourne là où la forêt s’allonge entre ciel et terre, puis revient parmi nous. L’un ne va pas sans l’autre, ce qui nous reste se confond avec ce que l’on quitte.
Un sentier prolonge le chemin à l’entrée du bois; dedans ombres et lumière brodent des dentelles auxquelles s’accrochent de vieux chardons. Les oiseaux tiennent la baraque, les plus curieux campent aux fourches des feuillus, les craintifs se cachent derrière des rideaux d’épines. La rosée goutte le long des rameaux, perles de verre suspendues aux bourgeons. Un rouge-gorge, un peu téméraire, vient aux nouvelles, la vieille est assise sur l’un des bancs du refuge, là où le soleil a pris ses quartiers. La terre fume.

Bois Vuacoz

Montpreveyres / 9 heures

Le jour se lève lorsqu’elle fait son apparition dans la cuisine, par la porte qui communique avec la chambre. Il est sept heures, tout indique qu’elle est debout depuis longtemps déjà, mais rien ne permet d’en savoir plus; elle tire la porte derrière elle, pose en passant le dos de sa main droite sur le radiateur, puis se tourne du côté du poêle dans lequel elle glisse un morceau de bois.
La fenêtre est entrouverte, les rideaux tirés, on entend les moineaux dans la haie, une mésange s’accroche à la mangeoire suspendue au lilas, les arbres sont nus encore. On entend à peine la fontaine.
La bouilloire siffle, il y a du désordre sur la table qu’entourent quatre chaises au placet brodé, mais aussi une pile de journaux, de la publicité mêlée à un courrier plus sérieux. Elle est assise au bout de la table, regarde par la fenêtre, un rayon de soleil claire ses mains qui tiennent un bol de thé; à l’autre bout une petite radio, un journaliste demande à son invité de commenter les actualités, elle écoute distraitement, le froissement des pages du journal repousse l’entretien au second plan. Elle tend le bras et interrompt l’émission.
On entend alors dans la cuisine ce qu’on entend lorsqu’on est seul, des bruits, ceux du dedans et ceux de dehors, qui inquiètent un peu, parce que c’est aussi ceux que d’autres entendraient s’ils avaient été à sa place. Aucun vivant n’en doute, la solitude rassemble.