Les Quarante Poses

quarante_pauses_attelage

Gruyères / 13 heures

Sandra et les filles ont skié cet après-midi sur les pentes orientales du Niremont, elles m’ont laissé au parking de Rathvel à 11 heures 30, là où la Trême resserre ses eaux avant de prendre son élan. Des raquettes auraient été les bienvenues, elles auraient avantageusement accompagné les deux bâtons que j’ai eu l’heureuse idée d’emporter, mais elle m’auraient évité surtout de brasser des litres et des litres de neige fraiche. J’ai longé la Trème pendant trois grosses heures sous le soleil.
La couche de neige est importante à 1200 mètres, j’y ai croisé d’innombrables traces et un chevreuil qui s’est retourné après avoir fait mine de s’enfuir. La neige se retire en-dessous de 1000 mètres et les mésanges se mutiplient sur les branches basses des mélèzes. A 800 mètres, elle a fondu le long des lisières, sous les haies, sur les rives des ruisselets, dans les vergers; elle a la couleur noire de la terre des taupinières, une grande poussée se prépare en sous-sol.
La Trême avait rendez-vous, on s’est quitté sur la passerelle qui mène à la rue des Colombettes. Elle s’est hâtée de rouler ses eaux pour retrouver à Broc, après l’Ondine, les eaux le la Sarine; quant à moi, je devais ne pas rater le train de 15 heures 33 à la gare de Bulle.
La rame à points rouges des TPF est bien jolie, elle s’appelle Mon bi payi. On a longé le versant occidental des Alpettes puis celui du Niremont, on a fait halte à Vuadens, Vaulruz et la Verrerie avant de glisser depuis Semsales jusqu’à Châtel-Saint-Denis, en suivant le cours tout neuf de la Broye. J’ai retrouvé Sandra et les filles qui m’attendaient à 16 heures à la gare.
On n’imagine pas ce que les nuits qui suivent de telles escapades, somme tout assez physiques, leur doivent.

Au Riau

verger_taille

Corcelles-le-Jorat | 13 heures

Laurent a obtenu une licence d’histoire de l’art en 1981, Catherine de géographie en 1986; avec des mémoires, lui sur le dessin de presse, elle sur les énergies renouvelables. C’est l’heure de l’apéro, ils enseignent depuis vingt ans dans le même établissement du secondaire inférieur, Laurent l’histoire et l’anglais, Catherine la géographie et le français. Ils ont décidé de mieux se connaître.
Tout y passe, du plaidoyer pour le livre papier, Catherine adore parcourir les rayonnages de ses bibliothèques dans lesquelles elle accumule des livres depuis des décennies, à la défense illustrée de l’Amérique – la californienne surtout, et celle des grands parcs. Les grosses motos, c’est son dada, Jacques Brel, elle adore, les élites, il en faut, les voyages culturels, ils ne s’en rassasient pas, les réseaux sociaux, ils ont du bon; la vertu des devoirs, la laïcité, l’orthographe, le communautarisme, le livre, le livre encore, je cite Laurent: Que nous, les anciens, fassions tout ce que nous pouvons afin de conduire les jeunes générations au plaisir des lettres et des livres!
Ils défilaient dans les années septante, ont depuis fait un pas de côté et quitté le cortège. Tous les deux ont fait un enfant, il a débloqué sa caisse de pension, elle a voyagé aux quatre coins du monde, il a acheté un chalet. Il leur reste visiblement quelques points à régler, délicats, pour ne pas avoir à trahir les engagements qu’ils avaient pris enfants, si lointains qu’ils ne s’en souviennent plus exactement.
Pour maintenir toutes les chances de leur côté, Laurent gère lui-même son portefeuille d’obligations et d’actions, il vote à gauche; quant à Catherine, elle vote à droite mais trie ses déchets et achète bio.

La Croix

la_croix_vuacherens

Vucherens / 17 heures

Réponses fanées sans lumière ni ombre, personne ici ne récite plus les noms de pays. Le Champ du Bochet ploie depuis novembre tandis que le patron du Raisin fête son bel âge à la table ronde avec ses amis, ils tiennent. Tous attendent devant un verre de blanc les grandes manoeuvres de mars, confiants, réjouis à l’idée que le printemps tient depuis toujours ses promesses.