Chez Ginette

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Chapelle-sur-Moudon / 18 heures

On racontait qu’ils étaient descendus de l’Aigoual, qu’ils avaient emprunté la collectrice de l’Asclié, passé par Aire de Côte, Bonperrier, Colognac et le col de Bantarde, qu’ils se tenaient dans les creux du Vidourle d’où ils sortaient chaque nuit pour démonter potager, murettes, retourner herbe et maïs.
C’est ainsi que les sangliers nous avaient mis au parfum cette année-là; à l’automne ça sentait de partout: ta terre noire, les antres humides, les nuits blanches et de furieuses envies. Il n’était plus temps de faire le compte des syllabes et de placer la césure, nous avions à faire rouler les pierres de nos architectures; dessous ça grouillait de partout, les vers creusaient des gouffres, on rejetait et contre-rejetait le cul par-dessus tête, on piétinait la chantilly et la rhétorique, on enjambait, bondissait avec, sur les talus, des chapelets de vers luisants et, dans nos mains, une soif, et une immense, folle, insatiable gaieté.

Rustériaz

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Bottens / 17 heures

Des arts, il en est un dont chacun de nous se voudrait et se dit exempt, celui de fermer les yeux sur les obscurités qui habitent nos dires et nos actions: arriérés, raccourcis, présupposés, tout ce qui finit par faire bouchon et peser jusqu’à verrouiller l’accès à nos ignorances, art de tourner le dos à ce qui pourrait déranger, à ce qui obligerait à nous retourner du côté des commencements, en invoquant précisément les traditions, les habitudes ou le bon sens, et si cela ne suffisait pas, en élevant la voix, donnant l’occasion à celui qui en userait de rappeler qui est le maître et de faire un pas de plus en direction d’une surdité plus profonde.

La Vuachère

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Pully / 14 heures

Alors que je n’y songeais plus, remuant machinalement du pied la grève entre Lausanne et Pully, sur le point d’abandonner cette quête devenue soudain vaine, et peut-être de l’abandonner pour toujours, de tourner le dos à ces étranges rendez-vous, avec la crainte d’être amené à regretter un jour l’espèce de joie qu’ils me procuraient; alors que je me tançais sur le chemin du retour de ne pas m’être contenté d’un bouchon de liège, d’un vieux flotteur ou d’un morceau de terre sans visage; tandis que je me répétais ce que j’avais si souvent entendu, qu’il serait temps enfin de cesser ces occupations de va-nu-pieds, de passer à autre chose pour assurer ma rédemption, le monde s’est remis sur ses pieds. Sans avertir.
La cause, une petite pierre de rien du tout qui, d’un coup, a repoussé au second plan le dégoût, les courbatures, la toux et le rhume qu’un week-end au lit et des remèdes de cheval n’ont pas su apaiser; une pierre de rien du tout rouge, jaune, noire, avec dans le dos un rayon de soleil.
Une pierre multicolore manquée à l’aller que je me hâte, comme je l’ai toujours fait, de mettre au fond d’une poche, avant de la ressortir bouche bée, pris de vertiges: une pierre marquée aux couleurs du chardonneret.