La vieille pensait autrefois

La vieille pensait autrefois que les choses auraient pu être différentes si elle n’avait pas lu le livre qu’on lui avait tendu, si elle ne s’était pas assoupie un jour à la lisère du bois, si elle n’avait pas tant aimé marcher sous la pluie, si elle avait croisé un autre inconnu.

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Elle me dit aujourd’hui que rien, au fond, n’aurait été différent, que tout aurait abouti à ce même instant. Oui, elle avance inclinée dans un monde d’un seul tenant qu’elle a été amenée, simultanément, à écouter et à dire.
Je songe à une image, celle de ces vaisseaux immenses, dont la proue sur laquelle se dressaient autrefois les conquérants fend l’océan, et à l’arrière desquels un passager clandestin est accroupi, regardant les eaux se refermer, pour ne laisser bientôt qu’un sillage et puis plus rien.

Le Cran littéraire

Vais donc lire le 4 novembre prochain, et me frotter ainsi à l’art de dire, avec Line Marquis qui dessinera…
Pour en savoir plus, c’est ici.

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 « … de dire et non pas de « bien dire », mais de dire, de dire ce qui ne l’avait pas été encore, là, dans l’espace et dans le temps, dans ce coin unique d’espace-temps que constitue le site, autant dire la page, ou la scène…

La diction ne récite pas, ne récite jamais, pas plus qu’elle n’invente, elle traverse, elle est la traversée d’une idée de forme où chaque mot contribue à la formation. Et là, il n’y a aucune hiérarchie entre des mots qui seraient significatifs et d’autres qui le seraient moins, entre des mots qui seraient, si l’on veut, des pilastres, et d’autres qui seraient des ornements. C’est parce qu’elle est intégrale que la diction avance le long du texte comme un funambule sur une corde : il y a les pas, les mots, un à un, bien sûr, mais il y a aussi chaque point du corps au-dessus du pied qui fait appui ou de la bouche où se forme la parole, mais il y a aussi tout l’air qui est respiré et tout l’espace où habite la respiration. Et c’est avec tout cela que l’ « existant » qu’est le texte se met à exister, non comme une masse de mots ajoutée au monde, mais comme une diction, autrement dit comme un sens proféré, comme une intelligibilité dépliée, et pleine d’égards pour le monde comme pour les oreilles qui sont tendues vers elle. »

Jean-Christophe Bailly, La Phrase urbaine, Seuil, Paris, 2013

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C’était hier après-midi

C’était hier après-midi entre Denens et Vufflens-le-Château, la pluie avait cessé et les nuages s’étaient écartés de chaque côté de la Venoge. On s’est régalés de chasselas en parlant de choses et d’autres, des riches et des pauvres, d’écriture, du lac, du ciel, du Jorat. Et de l’extraordinaire destin de l’homme contemporain.

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Tiré de son lit à 5 ou 6 ans pour se rendre chaque matin pendant une dizaine d’années dans un établissement de formation obligatoire, le petit homme devenu grand descend à la mine durant quarante ou cinquante ans.
Il est invité alors, s’il n’est pas mort, à refermer la parenthèse et à reprendre sa vie là où il l’a laissée aux lisières de l’enfance ; il se retrouve les mains nues, libre à nouveau de faire ce que bon lui semble, avec pour seul horizon l’étendue et le ciel pour compagnon.

Frédéric m’écrit ce matin, il a grappillé sur le net un mot gorgé de sucre : les Espagnols ont eu en effet l’heureuse idée d’appeler ce retour à la vraie vie, la jubilación.