LXXXVI

Anatole a bien mauvaise mine lorsqu’il s’assied à notre table. Pas d’appétit, pas soif non plus. Me demande discrètement de le suivre un instant, il veut me parler. Je quitte la tablée, c’est un ami.
On monte en direction du cimetière. Un peu avant le portail, Anatole me rappelle ses parents – que je connaissais bien – décédés il y a plus de 10 ans.
– Mais, poursuit-il la voix hésitante, j’ai toujours eu un doute, je ne possède aucune preuve tangible que mon père est bien mon père, ma mère ma mère. Que dois-je faire? Entamer une procédure judiciaire pour lever leur pierre tombale et la chape armée de mes doutes?
Je souris d’abord, Anatole est blême. J’essaie de plaisanter en lui assurant que je n’ai aucune certitude, moi non plus, que mes parents morts aujourd’hui ne sont peut-être pas mes parents bilologiques? D’où me vient en effet cette artificielle confiance, on se ressemblait si peu. Car enfin, Oedipe n’a-t-il pas tué, il y a longtemps déjà, celui qu’il cherchait? Et Arthur, Louise, Lili,… ne les a-t-on pas échangés par mégarde à la maternité? Me voici d’un coup orphelin.

Jean Prod’hom

Il y a les vases communicants

Il y a les vases communicants
l’éblouissement premier lorsqu’il revient en second
il y a la moleskine
la vie après la mort
les agrafes parisiennes
la respectable distance qui nous sépare du soleil
il y a les prétentions qui s’effritent
les groupes de travail dans le domaine de l’éducation
il y a la double rotation de la terre

Jean Prod’hom

A.10

A considérer la fiche signalétique de l’homme, on ne peut s’empêcher d’être fiers. A chaque fois on a su demeurer du côté des vainqueurs. Pensez! on aurait pu végéter parmi les mousses, les champignons ou les algues, migrer avec les sardines ou les morues, barboter avec les canards et les oies.
Et bien non, on s’est retrouvé à chaque coup à l’avant du peloton, d’abord en concurrence avec d’autres primates, macaques et gibbons. On s’est débarrassé ensuite des australopithèques, il y a moins de dix millions d’années, avant de laisser sur place homo erectus et les hommes de Cro-Magnon. Nous voici sapientes au sommet de l’arbre de l’évolution.
Nos peurs n’ont pourtant pas disparu et ce n’est pas sans raison. Je crains en effet qu’on n’ait pas toujours été très classe à l’égard de nos concurrents et que, par une ruse dont le darwinisme a le secret, un cousin de l’homme de Neandertal, caché quelque part entre Düsseldorf et Duisburg, pointe un matin son nez et nous pose-là, pris dans les mailles du filet de l’évolution. A moins que ce ne soit un proche de l’orang-outan, du dindon ou de la lotte. Ou pire une mousse.

Jean Prod’hom
avec le concours d’Histoire générale | LEP