Dimanche 2 janvier 2011

C’est décidé, on ira au cinéma à pied, ça ne fait finalement qu’une douzaine de kilomètres du Riau jusqu’au Zinema d’Oron, n’est-ce pas? Et on marche depuis que tu es tout petit. Souviens-toi des Diablerets, de la Vallée de Joux, de Plan Francey,… il t’en reste des morceaux et des photographies dans les albums.
La route de la Moille Messelly est verglacée si bien qu’on renonce à emprunter le chemin du remaniement, on bifurque à la patte d’oie sur Rachigny, fond sur la Goille où F se remet de son opération. On brasse la neige avec insouciance dans le côteau de l’autre côté de l’Echu. Un renard bondit d’un bosquet et plonge dans le lit du Cerjuz. On guigne à tout hasard dans le cabanon des veaux qui surplombe la rivière. Le roux a filé, rejoint par un chat qui disparaît lui aussi. Arthur sautille, grimpe, court.
Près d’un hangar caché dans le bois sous la route de Berne, on entend les chants désordonnés d’oiseaux, c’est une volière en amont du pont de la Bressonne qu’on souhaitait rejoindre par le Moulin du Creux. Aux piaillements se mêle un tube des années 90, les propriétaires s’affairent, on remonte discrètement. Qu’on ne nous prenne pas pour des brigands.
Arthur lance des boules de neige sur tout ce qui bouge. On traverse la zone industrielle de l’Ecorcheboeuf jusqu’au café de la Croix d’Or, fermé malgré les lumières qu’on aperçoit derrière les rideaux. A cause d’Ussières tout près, c’est un lieu qui me fait immanquablement penser à Dhôtel, au Plateau de Mazagran et à l’Ile de la croix d’or.
On fera une halte
à Mézières en face d’un caraque, d’un vermicelle et de deux chocolats chauds. Puis, par Chenau, on atteint le pont de la Carrouge. Il nous faut alors remonter la route du Paradis, comme en 2002, entre Tanneires et Roseires, jusqu’au cimetière de Ferlens où S repose fauché par un train. Je raconte cette sale histoire à Arthur tandis qu’il caresse un chaton devant chez les B, la maison est vide, le village est vide, la campagne est vide. On rejoint Fontaine, entre Champ Jaquet et les Planches, longe la lisière du Bois de Fey avant de glisser dans la neige jusqu’au pont du Parimbot. On remonte sur la Possession d’où l’on aperçoit Oron à l’avant de son château, le Niremont et les Alpettes, plus loin les Vanils.

On laisse au nord Auboranges et sa belle maison carrée, traverse le Champ Paccot au-dessus de Vuibroye avant de descendre jusqu’au pont qui franchit le Grenet à deux pas de la Broye. Arthur court devant, onze ans seulement, saute comme un cabri et allonge le pas, se retourne pour s’assurer que je ne le perds pas de vue. Jusqu’à Châtillens où les cloches sonnent, il est 4 heures.

On remonte ensemble en direction du centre de la petite ville qui abrite près de 1500 habitants, s’assoit sur un muret devant l’Etablissement médico-social du Mont où il fait bon vivre, géré par la Fédération des Eglises adventistes du 7e Jour, quelques boules de neige dans le lit du Flon, petit affluent de la Broye, un coup d’oeil chez Denner, les voix de deux loubards, et un chocolat chaud. Un chocolat chaud pour conclure notre balade, au tea room, seul établissement public ouvert de cet ancien chef-lieu de district qui file du mauvais coton.
Une douzaine de kilomètres, le bonheur de marcher avec son fils, et celui peut-être de marcher avec son père, il n’en faut pas plus pour qu’on renonce au cinéma.




Jean Prod’hom

Le lilas et l'aubépine

Les élus dont le nom était précédé d’une particule avaient pour missions principales de déclencher des bourrasques par la seule force de l’illocutoire et d’agiter au moment voulu les consciences. Les autres s’assuraient du silence des modestes.
Mais trop de chefs nuisent, qu’ils soient à la tête d’une bourgade de cinq cents ou d’une province de cinq mille, et les caciques, vite rongés par le doute et discrédités au moindre impair qu’ils ne manquaient pas de commettre dans l’usage bien établi de la langue de bois, perdaient avec leur tête les grandes orientations de la raison et le contrôle général des intempéries. C’en était fait de la paix du travail et, à terme, de leur particule.
Mis à l’écart on les retrouvait sillonnant les bois, soumis à la tentation puis à l’entretien des maigres cours d’eau de la zone orientale de l’île, la volonté calcinée et l’os fleuri pour user d’une expression locale. On assistait alors dans les villes à la ruine de la domesticité et à l’empiétement des consciences. On déplorait en outre au carrefour des taches d’huile et on signalait des heurts d’amertume sur le périphérique.
On retrouvait plus tard ces anciens élus dans des camps où ils goûtaient à la terreur. On les identifiait à leur matricule brodé sur un serre-tête que certains portaient en sautoir. Là pas le temps de tergiverser ou de chantonner. On avait faufilé à l’envers des tissus qu’ils portaient le jugement sommaire de leur condamnation et on tablait sur l’obstination proverbiale de vieilles incontinentes, sûres de leur bon droit, pour emporter les souvenirs des condamnés qui gouttaient en bon ordre de dessous leur tunique de bure. Elles étaient tenues de se rendre nuitamment derrière les grillages, nues, pour un face à face nocturne dont l’horeur ne s’imagine plus.
En automne, pour que les serpillères et les secrets n’encombrent pas la cour de l’enceinte, on les jetait avec les différends et des brassées de litiges dans des bartasses auxquelles un aveugle tiré au hasard boutait le feu. Que de cendres! que de noirceurs! Mais de jeunes arbrisseaux y plongeaient leurs racines et, avec l’arrivée de juin, des senteurs supérieures flairaient le renouvellement, faisaient le mur fuyant à tout vent dans la direction de l‘échappée belle.

Jean Prod’hom

A.3

A cette époque, il n’y avait pas seulement les températures et les continents qui bougeaient. Les hommes – qui n’ont pas toujours fait la manche – aussi. Si bien que, pendant les périodes froides, alors que de gigantesques glaciers recouvraient le nord de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique du Nord, que les masses d’eau emprisonnées par le froid ne coulaient pas, que le niveau des océans était beaucoup plus bas qu’aujourd’hui, les plus timides de nos ancêtres ont saisi l’occasion d’aller à pied de Calais à Douvres sans se mouiller.

Jean Prod’hom
avec le concours d’Histoire générale | LEP