Salle de bains

Riau Graubon / 17 heures

A peine levé, je reprends la traversée de la première des dix étapes de mon voyage. Sandra et les enfants descendent à la mine. Je décide de rester sur cette traversée jusqu’à la fin de la semaine – et plus s’il le faut –, pour en éprouver la longueur et la consistance, la teneur, le feuilleté, la cadence. Reviendrai ensuite au double prologue. 

Je lance un coup de fil à Jean-Daniel à propos de la jachère de Grancy. Qui me conseille de prendre contact avec le responsable agricole de Grancy, qui me donne le nom du propriétaire de la parcelle, qui me donne le nom de son locataire à Cuarnens. Bonne nouvelle! celui-ci est d’accord de me rencontrer demain chez lui, avec son père qui l’a semée il y a douze ans. Mauvaise nouvelle, elle disparaîtra en février.

Raymond Depardon, Délits flagrants, 1994

Moille-Messelly

Riau Graubon / 22 heures

Journée des transports: Sandra se rend à l’EPFL, Arthur au Bugnon, Louise aux Croisetttes, Lili à la Branche puis à Forel. Je récupère dans l’après-midi Arthur à l’arrêt de bus du Riau, plus tard Sandra aux Croisettes.
Lili rentre de Forel avec la maman d’une amie, Louise de Carrouge avec Sandra.

Expérimente – oh! le grand mot – un dispositif, simple, à même de plier les unes sur les autres, sans les confondre, les voix qui nous habitent en des moments différents de nos vies, s’éclairant les unes les autres, avec leurs ombres, et laissant la place à celle qui viendrait après elles.

Dans l’après-midi, Raymond Depardon, Profils paysans 3, La Vie moderne (2008). Ce soir à Oron, 12 jours (2017) du même Raymond Depardon, Je suis seul dans la salle.

– Votre avenir?
– Il recule. 

– Je dois faire quelque chose.
– Il faut vous soigner avant de faire quelque chose. 

– J’ai besoin de ma fille..
– Votre fille a besoin de vous mais guérie.

Gif | 13 décembre 2017

Cher Jean,

Merci pour les nouvelles très fraîches du Jorat, les précis souvenirs ferroviaires, aussi, en terrain pentu. Comme la voiture et l’avion, le train a été victime du désenchantement du monde. Sa magie poussive a illuminé nos enfances  rustiques. On n’avait pas besoin de crémaillère, de ce côté-ci de la frontière mais les locomotives à vapeur sillonnaient la campagne de mes jeunes années, sous leur panache de fumée, noires, haletantes, vivantes. Avant même d’arriver à la gare, on les entendait respirer, en tête de convoi, comme de grandes, puissantes bêtes qui prendraient leur course au coup de sifflet et c’est le coeur battant qu’on empoignait la main courante en acier nickelé des wagons vert bouteille, compartimentés. Il ne faudrait pas que le temps passe. On peut se souvenir.

Pour te rendre plus sensible encore la conformation du lieu au sentiment de l’existence, une photo de la Beauce, à proximité de Chartres, samedi dernier. Le contraire de la carte de voeux où tu vis. Des platitudes infinies de part et d’autre de la Nationale rectiligne et les labours sous le soleil bas, gênant, de décembre. Mais dans une semaine, les jours vont commencer à croître.

Bonne fin d’année, dans tes montagnes. Amitié.

Pierre

Photo | Pierre Bergounioux