Seul dans l’ignorance de ce qu'il en retourne

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De retour ce matin dans les bois, avec dans la tête quelques éléments d’un texte que François Bon devrait accueillir la semaine prochaine dans le cadre des vases communicants. Me rends compte que la difficulté éprouvée à me lancer dans cette aventure – les morts, leurs places – est liée tout autant à l’expression qu’elle suscite qu’à l’apaisement auquel je voudrais être conduit. Et je balance, incapable de donner à la fois une voix à ce tourment et le faire taire. Comme s’il fallait choisir l’une où l’autre
On ne mène pas cette double opération simultanément. Pourtant, c’est lorsque l’expression s’ouvre à ce qui l’entrave, sans vouloir maîtriser les allées et venues de cette chicane, sans vouloir même la nommer autrement que dans le blanc d’une invisible fosse, que l’apaisement survient un bref instant. Impossible cependant de réouvrir l’huître, il faut recommencer ailleurs, en partant parfois de très loin et renoncer à tirer par un bout le fil d’une pelote qui n’existe pas hors de nos rêves.
Je devine l’issue, un ensemble de fragments charriant le même tourment muet que n’apaisera à la fin que l’inachèvement de son expression.
Décider l’ordre des fragments en obéissant à la chronologie de leur rédaction ou a une supposée logique du contenu, laisser la nuit les ensevelir ou forcer le secret d’une cohésion appelée de mes voeux, creuser des blancs, c’est ce que j’aurai à décider.
C’est au bois Vuacoz que je pense à tout cela, dans un lit d’épines humides. Repousse le moment de rentrer, je crains que tout cela n’intéresse au fond personne, j’ai si souvent l’impression qu’on m’a laissé seul dans l’ignorance de ce qu’il en retourne de nos vies et de nos morts, ou tout au moins de ce qu’il faut en penser.
Le soleil est là, me débarrasse des épines, me souviens alors d’avoir avoué à une paire de philosophes qui débattaient de l’être en tant qu’être comme d’une affaire entendue que j’étais bien loin de saisir le sens de cet énoncé et l’importance qu’on lui prêtait. Les deux sages m’avaient souri en me disant à demi-mots qu’il était parfois plus honorable de se taire et de ne pas revenir sur ce qui était entendu. Je me souviens, c’était l’été 1981, en face de la Nouvelle-Académie, un soir des Fêtes à Lausanne. L’un est mort, dit-on, en croquant de la ciguë, l’autre, spinoziste, a disparu.

Jean Prod’hom