En lisant Claude Favre

Faut lire, s’y plonger, faut recommander, partager, propulser, diffuser. Hé! les gars, faut parler de, crier que. Quoi mais qui? mais qui mais quoi? Et pourquoi? Pas de réponse, silence radio. Pressions, petites pressions, ah quand tu nous tiens. Mais pourquoi pas. Et c’est pas long. Lire simplement, indispensable de lire simplement, n’est-ce pas? Et en toute indépendance. Lire donc Interdiction absolue de toucher les filles même tombées à terre.

C’est un texte bricolé par une effrontée, ardente et cruelle qui manie l’arme blanche. Geste précis, sourire aux lèvres, le sang coule à peine, un peu de crasse en fin à peine. Et pourtant, grave que je vous dis, grave, c’est toujours comme ça quand on ne s’y attend pas. Alors que tu souhaitais simplement aller au bar, les voici qui dévalent, en veux-tu en voilà, des filles de toutes les couleurs, à chaque coin de rue, par petits groupes. D’un coup t’es au ciel, un autre et te voilà au sol. Ça se fait pas, d’accord avec toi. Mais quel chambard! Et ça n’en finit pas, d’impasses en doux étranglements où la phrase qu’on croyait pouvoir suivre un moment peinard trébuche, silence. Sur le bitume qui brille des restes, des mots tombés du ciel, des bouts de chandelle, des bris de verre émoussés. Tu clignes des yeux, des deux yeux avant de reprendre ta lecture, à voix haute, c’est-à-dire que tu remontes, au pas si t’es pas pressé, pour te laisser glisser une seconde fois en-dessous de la cote d’alerte en espérant que tu tomberas enfin sur la bitte d’amarrage qui te permettra de mettre la main sur le mètre-étalon que tu te jures de ne pas lâcher si tu le tiens une fois. Mais tu descends comme sur un toboggan, pas lisse pas propre. Et tu devines alors que tu vas te retrouver, quoi qu’il en soit, niquedouillé d’avoir cru pouvoir garder l’équilibre dans ces grosses masses en déséquilibre et aux loopings locaux malicieux qui font tantôt un gros boucan tantôt un silence assourdissant. Quand même pas, elle osera pas, la bitte d’amarrage n’est en définitive qu’un foutu morceau de savon auquel fallait pas se fier, un savon qui racle les restes de ta résistance.
Eh si, pour un peu t’aimerais que ça s’arrête, pour un autre peu pas, c’est une autre version de toi, un gros séisme, profond qui fait pas dans le détail. Ses petites répliques sont pleines d’esprit, il y a du jeu. Il ne te faut pas espérer désormais que ça se referme, le texte s’évase, t’as l’impression que les phrases vont à l’envers, qu’elles se sont donné le mot pour aller à contre sens, vers le commencement. Tu t’éloignes de ce que tu croyais comprendre. Au bilan t’as pas bougé et t’as l’impression de tenir dans tes mains un tableau vivant.
Ce texte court est une bastringue de notre temps, tu te dis même qu’il est temps de changer de métier, rejoindre la congrégation des déménageurs ou des conducteurs de poids lourds, ou tiens, tenir un bar. Pourquoi je ne tiendrais pas un zinc? pourrais être devant, y a pas à dire, s’en passe des choses. Quand ça tournera en eau de boudin ou en coulis de framboise, je me retirerai à l’étage et regarderai les choses de loin. Je fermerai les yeux et écouterai ce qu’on ne voit pas au coeur de la mêlée, bruits de trottoir, voix des filles, un peu de sang, un mouchoir et une brosse à dents qui tombent d’un sac, avec des sanglots. Tiens, ça s’engueule sous les réverbères, tu vois l’histoire maintenant, ç’est devant mon bar, dans le terrain vague attenant, je lis mal, mais les choses vont de travers. Attention pas toucher. Silence. Une petite partie de belote plutôt? tarot ou poker? On remettra debout ce qu’on entendait de guingois, mais plus tard..
Qui parle? Dis-moi! plus personne n’est là, je n’entends que les échos noirs des colères ravalées, c’est pas pour la galerie, ni pour les piafs, c’est pour te montrer le lustre du désastre, la désaffection.
Sur la chaussée mouillée, il y a le temps qui s’effeuille comme un artichaut, les parfums de l’abandon, des personnages dans des décors bidons et une intrigue pourrie. Il y tombe des cordées de mots, c’est le crépuscule avec un marteau et une pelle tandis que la montagne croule de dépit. Comprenne qui pourra, on se tait, gros danger qu’on en prenne plein la gueule. On passe une fois, deux fois, A côté des traces toutes fraîches, les anciennes ont disparu et laissent carte blanche à d’autres entreprises. Et on s’en reverse une dose en cachette, ne dites rien, c’est sans fond comme la soif. Je me sens seul, il n’y a plus grand monde, pour un peu on va se croiser dans ce poème qui charrie de si belles épaves.


Interdiction absolue de toucher les filles même tombées à terre de Claude Favre (Ed.Publie.net)

Jean Prod’hom