Partirez-vous seul ?

Partirez-vous seul ? Ici encore votre décision est dictée par les impondérables. Si vous avez quelque ami proche dont le pas au vôtre s’accorde, n’hésitez pas. Il y a des moments difficiles où sa présence (toujours agréable) deviendra précieuse. De façon générale, elle influe profondément sur votre attitude corporelle et spirituelle. Il y a presque toujours un échange très complexe, de délicates interférences. Vos sensations, si elles diffèrent, réciproquement s’annulent : vous retombez à zéro. Si elles concordent, elles se multiplient ; leur produit, c’est quelque chose d’enivrant…
Une amie ? Vous n’êtes pas toujours digne de la transfiguration qu’un visage impose au monde ! Et votre fuite tournera court, sous quelque ombrage où vous serez tout de suite bien loin de vous-même.
Plusieurs amis ? Le danger de la «la bande», où seul règne l’esprit de mystification. Le groupe tend à s’affirmer contre le monde, au lieu de communier avec lui.
Gustave Roud, Petit traité de marche en plaine, 1932



S’agissant de choisir un compagnon, presque aucun de mes amis (ce qui est étonnant à dire), où que je me tourne, ne semblait faire l’affaire. : tant il est rare que les intentions et les comportements, même entre proches, s’accordent exactement. L’un était trop nonchalant, l’autre trop pointilleux ; l’un était trop empoté, l’autre trop impulsif ; l’un était trop maussade, l’autre trop joyeux.. Je trouvais celui-ci plus stupide, celui-là plus réfléchi qu’il ne fallait. Je reprochais à l’un ses silences, à l’autre ses bavardages ; je redoutais l’embonpoint et la graisse d’un premier, la maigreur chétive d’un second ; c’étaient la froideur et l’incuriosité, tantôt l’ardeur et l’excès d’activité qui me rebutaient. Tous défauts qui, malgré leurs inconvénients, sont tolérables dans la vie courante : l’affection peut tout supporter, et l’amitié s’embarrasse de rien. Mais, s’agisssant d’une expédition, la gravité de ces mêmes défauts devient redhibitoire. C’est pourquoi mon esprit exigeant, qui visait à la plus haute des joies, examinait autour de lui, pesant le pour et le contre, sans jamais blesser pour autant l’amitié : lorsqu’il pressentait, pour l’expédition projetée, une source possible de désagrément, son arrêt se traduisait par le silence.
Pétrarque, L’Ascension du Mont-Ventoux, 1336 (traduction Jérôme Vérain)