Un raté qui doit poursuivre

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Louis Soutter, Personnage et guirlande de fleurs,1935

On annonçait hier au village la mort d’un des leurs en précisant de qui il était l’époux ou l’épouse, le père ou la mère, le frère ou la soeur, pour que les vivants puissent identifier celui qui allait manquer et entreprendre sans tarder les travaux de raccommodage. Mais on annonce ce matin aux gens du village la mort d’un gamin. Pas de réparation possible, l’enfant quitte les vivants par l’arrière, l’événement menace tout le village, ronge ses bords. Une mort qui ne mite pas le tissu mais le défait en tous sens, la commnauté d’un coup stérile et orpheline.
On ne sait pas très bien quoi dire au morts du cimetière. Impossible de leur demander d’accueillir ce gamin puisque ni son père ni sa mère ne l’ont précédé, impossible pour les morts de le laisser entrer puisque ce serait ouvrir la porte à des vivants, ceux dont il est le fils ou la fille. On ne mélange pas les morts et les vivants, disent de concert les uns et les autres, dans une même langue mais pas du même lieu.
Que faire de cet enfant qui n’aura pas tenu sa place, auteur d’aucune transmission chez les vivants et condamné à rejoindre avant l’heure le monde des morts, désormais prénom orphelin dans un coin du cimetière, vivant parmi les morts, un disparu qui erre, entre deux eaux, accepté nulle part, dans les limbes, un raté qui doit poursuivre (Cummings).

Jean Prod’hom