La pluie a creusé des ombres pleines de noirceurs

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Cher Pierre,
La pluie a creusé des ombres pleines de noirceurs tout autour des arbres et des arbustes du jardin. Je l’ai entendue à minuit, puis à un peu plus de trois heures, enfin lorsque le jour s’est levé. Il fait moins froid ce matin, mais cette tiédeur humide ne m’empêche pas de faire du feu. La journée sera longue, je me promets, lorsque je quitte le Riau, de faire les efforts nécessaires pour ne pas dilapider mes forces dans des tâches inutiles. Sans y croire vraiment. Louise, c’est promis, je te lirai ce soir, le chapitre 12 d’Aux délices des anges.

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Ce soir, il ne me reste rien, ou presque rien – la force peut-être d’écrire ces mots. Et je me demande si je n’ai pas agi, tout le jour, dans la seule intention que quelque chose demeure encore possible, sans que je sache exactement quoi. Et que ce quelque chose indéfiniment différé me condamne à reconduire l’opération demain et après-demain.
Il aura suffi pourtant que le soleil écarte les nuages et les brumes dans lesquelles s’engluait ma raison pour que je baisse la garde et que l’âcre fumée de mes ratiocinations disparaisse comme ces rubans de fumée dans le ciel blanc de l’hiver.
Et que, par un renversement dont j’ignore tout, ce manque que j’espérais voir comblé au terme de la journée est tout entier là, m’a vidé et ramené là où je ne pèse plus rien, un rien sans bord que les rayons du soleil réchauffent, pointe émoussée siégeant sur toute la surface du corps et se confondant aux courbes des alentours.
J’ai la certitude qu’il n’existe aucun chemin calculé pour parvenir à ce qu’on voudrait atteindre, ou plutôt que ce chemin sur lequel on va et vient sans répit conduit inéluctablement à l’épuisement ; il convient alors d’accueillir, loin de toute raison, le mot vertical, celui qui s’ouvre comme une fleur à autre chose que le langage, renverse les ombres et les noirceurs sur un chemin qui a la forme d’une clairière. Pour une réconciliation.
Sandra, Louis et Lili vont rentrer d’Oron, Arthur est allé promener Oscar. Je descends de la bibliothèque à la cuisine. Vais casser des oeufs, hacher des épinards et rôtir des galettes de pommes de terre, ils ont faim. Ce soir Louise égrènera peut-être quelques notes de guitare, Lili de piano.

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Jean Prod’hom