Ce jeune homme aura sauvé trente-deux faons

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Cher Pierre,
Arthur a dû crocheter la fenêtre des toilettes pour retrouver son lit, il est un peu remonté ce matin contre ses sœurs qui n’ont pas remis les clés à leur place ; il participe aujourd’hui avec la jeunesse de Ropraz à une opération du telethon.

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Je consulte quelques chiffres bien au chaud dans une chambre d’hôtel à Charmey ; ceux, imposants, des fonds que le telethon français espère collecter ce week-end pour financer les projets de recherches sur les maladies génétiques rares ; ceux des coûts que vont occasionner ce même week-end les frappes aériennes françaises, britanniques, étasuniennes et russes. C’est inquiétant.
Les sommes collectées a l’occasion d’un telethon de très bonne cuvée, celui de 2006 par exemple (100 millions), n’auraient pas permis de financer les opérations aériennes en Syrie et en Irak du lundi au vendredi de la semaine passée.
Ajoutons pour faire bon poids ceci : officiellement (sources du gouvernement américain), depuis le 8 octobre 2014, ce sont près de cinq milliards de dollars que les États-Unis ont déboursés pour bombarder l’EI. Sans prendre en compte la valeur de ce qui a été détruit : 129 tanks, 356 véhicules de transport, 4517 buildings, 260 infrastructures pétrolifères. Sans parler non plus de la valeur des 3650 personnes tuées, dont 220 civils dont il est difficile de fixer la valeur. Cinq milliards, c’est donc l’équivalent de cinquante telethons ! La mise en regard de ces chiffres est naturellement un peu idiote, je le concède, et ce ne sont évidemment pas les mêmes comptes, comme le précisent les spécialistes. Mais quand même, il est toujours question, à la fin, d’orphelins.
La Gruyère est encore bien verte et les plus vieux n’ont jamais vu ça. On longe le rive gauche du Javro jusqu’à la Valsainte, par l’ancien chemin qui traverse les prés de fauche et les pâturages, bordé par des haies d’églantiers et de noisetiers, entre fenils et cabanons. Le chemin, étroit et creux, serpente en-dessous des bois qui tapissent les pentes occidentales des Dents vertes, il existe depuis que les Chartreux ont défriché au XVIIIème siècle la haute vallée du Javro. Un seul coup à la cloche de la chapelle, le désert dedans et dehors la Valsainte.
Nous redescendons par la route, rive droite. À Cerniat, un jeune homme observe aux jumelles les chevreuils, on en aperçoit quatre dans les prés en-dessous de la route, ils occupent son esprit toute l’année, le printemps surtout lorsque les petits naissent. Le lynx et les renards, leurs prédateurs, ont poussé en effet les chevrettes à mettre bas dans les près de fauche, elles viennent allaiter leur petit deux fois par jour, les laissent seuls le reste du temps. Et lorsque l’herbe est haute et que les faucheurs se mettent au travail, c’est un carnage, les faons attendent debout sans bouger et vivent l’horreur. Quelques habitants de la vallée, chasseurs pour la plupart, se sont organisés ; ils précèdent les engins de fauche des agriculteurs qui ont bien voulu les avertir, fouillent côte à côte les hautes herbes pour sauver les petits qu’ils placent sous un cageot. Lorsque la lame à passé, leur vie est sauve, les sauveteurs retirent le cageot et les faons rejoignent leur mère.
Ce printemps, ce jeune homme de Charmey aura, avec son équipe, sauvé trente-deux faons dans la vallée. Mais plusieurs n’auront pas été épargnés. Il aimerait faire mieux encore, disposer de détecteurs thermiques par exemple, et convaincre d’autres bénévoles dans la vallée. Après Cerniat, le chemin plonge dans le Javro et remonte vers le centre thermal. Le soleil claire sur la terrasse, on sirote un frappé.

Jean Prod’hom

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