Que de fois il avait eu la sensation d’être appelé

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Que de fois il avait eu la sensation d’être appelé à s’écarter du lieu qui lui avait ouvert les bras, au moment même où l’évidence s’imposait qu’il était enfin possible qu’il y demeurât. Chaque fois, il avait eu le sentiment de devoir s’en arracher, empruntant la voie qui l’en éloignait, qu’il rejoignait au prétexte qu’il voulait vivre encore avec ceux de son espèce, et parce que, peut-être, on lui avait appris à vouloir plus et à espérer mieux, ne prenant garde qu’il risquait ainsi de se couper à tout jamais de ce pourquoi il faisait tant et tant de détours. Il en alla à la fin autrement et il put séjourner en un lieu modeste sans demander son reste. De cette vie muette, on ne sut rien, sinon ce qu’il laissait voir lorsqu’on le croisait au village ou sur le chemin qui longe la limite communale à la lisière des bois. Et puis plus rien, ou presque, lorsqu’il accepta l’invitation qui lui fut faite d’habiter au second étage de la maison aux volets verts.

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Il m’aura dans son silence indiqué le chemin qui rend le retour possible, au lieu même que nous avons quitté et que nous allons rejoindre, en sautant comme sur un gué sur les traces que nous avons laissées, là d’où l’on vient, jusqu’au seuil de cette époque qui fut à la fois celle de l’enfance et du consentement, et dont on a cru bon vouloir s’affranchir.
Il y a deux immédiats, celui qu’on embarque sur nos rafiots et qui fuit comme le tonneau des Danaïdes. Et celui qui se tient immobile, dont on se détourne au moment même où l’on s’avise qu’on ne peut rien en tirer. Mais qui demeure intact, qu’on parvienne à en faire à nouveau notre demeure, seconde, ou qu’on l’oublie à tout jamais.

Jean Prod’hom