Moudon / 12 heures
Je suis devenu assez sceptique sur les raisons véritables qui poussent les gouvernants aux initiatives prétendues humanitaires. Ce n’est pas parce qu’on supposait que les enfants étaient insuffisamment éduqués dans leur famille, ni assez bien préparés à leur destinée d’hommes, qu’on a construit des écoles, dressé et payé des instituteurs. C’est à un lot d’idéalistes ingénus que nous devons de telles explications. La vérité, c’est que la complication croissante des techniques de travail nécessitait une formation spéciale et un minimum d’initiation et d’instruction de la masse du peuple, sans compter la part de dressage, de « formation » indispensable pour plier les hommes à des actes et à des modes de vie qui ne leur sont pas naturels… […]
On fait appel aux magiciens d’abord, aux sorciers; plus tard, aux religions et à leurs prêtres; puis aux savants, aux moralistes, et aux philosophes. Une collaboration intime, consciente ou non, s’établit: les possédants, les chefs, les maîtres paient plus ou moins grassement les dispensateurs d’illusion, ceux qui sont capables d’expliquer aux travailleurs – et logiquement s’il vous plaît! – la nécessité sociale ou divine d’accepter leur sort, d’aller toujours plus avant dans cette voie d’assujettissement et de sacrifices, et bénissant même les rois et les dieux des grâces dont ils les font bénéficier.Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques I,
L’Education du Travail, La culture profonde, 1949