Jours de fête

Les esclaves
servaient à leurs maîtres
des quartiers de viande
gros comme deux fois ton visage

ils traînaient leurs chaînes
sur le sable chaud
y traçaient des signes refermés sur eux-mêmes
images abrégées de l’interminable

pas de résignation sur leur visage de cire
des fibres d’aloes roui sur le torse
une corde de peau
autour du cou

les brutes épaisses dérobaient au retour
des épis de maïs
qu’ils rongeaient la nuit
yeux grand ouverts
dans l’obscurité d’un ancien boîton

c’est tout

Jean Prod’hom

Dimanche 3 octobre 2010

N’en peux plus à minuit du marteau-piqueur qui menace ma carcasse. Il a déjà mis à mal les fondations du refuge désuet dans lequel je me trouve. Avec Arthur à 900 mètres, au-dessus de la station de départ d’une installation de ski incomplète. Avant de devoir affronter le pire je me lève, hésitant et dépité, descends à l’étage où la fête bat son plein, celle des jeunes du Cornet, ivres ou morts c’est selon. Ils sont de Crémines, de Grandval ou de Moutier et fêtent la fête. Ils sont chez eux sans rien n’en dire ni même le savoir, chez eux depuis 1500 ans, dernier rempart burgonde au-delà de Pierre-Pertuis surveillant à l’est les Alémanes de Balsthal. Chemin faisant ils se sont éloignés des chanoines de Moutier-Grandval pour partager aujourd’hui avec d’autres pénitents d’autres croyances et d’autres supplices, buvant sans compter jusqu’au matin, jusqu’à l’extinction des feux qui clignotent un peu encore dans leurs yeux. Ils fêtent la fête et la fin de la guerre froide en avalant sans broncher de la vodka mélangée à du coca-cola.
Je retourne sur ma couchette en craignant le pire, me tourne et me retourne, écoute la voix de Cendrars – Qui êtes-vous Monsieur Cendrars ? – interrogé par Emmanuel Berl, Maurice Clavel, le docteur Martin et Jean-Pierre Morphé qui ne m’apportent ni les soins ni le sommeil espérés. Je crains à nouveau pour mon coeur, me tourne et me retourne. Tombe un peu par hasard sur la piste d’un ou deux 807 qui auraient pu m’apporter un réconfort. Mais je dois batailler encore, me débarrasser d’une fallacieuse idée : trouver une arme pour en finir avec eux ou avec moi.
Puis, alors que je n’espérais plus rien, le bruit des marteaux-piqueurs et les cris des suppliciés du Cornet ont cessé, le jour s’est levé, le soleil ensuite. Et mes voisins du refuge qui n’avaient pas dormi se sont éveillés à la queue leu leu, le menton sur le manche de leur pioche, une demi-paupière battant de l’aile et souriant du pire. Une nuit sans neige ni rêve qu’il eût mieux valu mettre au compte du samedi pour garder intact ce premier dimanche d’octobre dans les pâturages de Crémines qui dominent le Grand Val où coule la Rauss.
Et tandis que je remettais mon coeur à sa place, Arthur est apparu et le soleil s’est mis à faire flamber la toison des feuillus pour préparer leurs bras à accueillir l’hiver.

Jean Prod’hom

Effet collatéral

Grande fête samedi passé au coeur du Jardin Pixel, sur la délicate pelouse qui ceint la fosse à bitume, organisée par les Éditions du Transat à l’occasion de la parution des 807 dans sa collection bleue.

Agathe, Cornaline, Lili, Lou et les autres, les garçons aussi, les papas, les mamans, les amis, les amis des amis, tous étaient présents, 807 au total à l’ombre des tilleuls.

Quant à moi, en apercevant le nombre 807 tracé à l’encre bleue sur la face externe de la cuisse de l’un des agneaux que les amis Franck et Joachim préparaient, je pris conscience que toute entreprise littéraire avait ses limites et que plus rien ne serait jamais tout à fait comme avant.

Jean Prod’hom
8 juin 2010