LXXV

Jean-Rémy a conçu un système infaillible pour éloigner les merles, les corneilles et les moineaux de ses cerisiers : crécelles, lambourdes, rubans d’argent, épouvantails, cliquetis, drapeaux tibétains,… Il a si bien réussi qu’il n’ose plus sortir de chez lui.

Jean Prod’hom

Dimanche 19 septembre 2010

Ce ne sont pas tellement les bras nus de Rachel Kolly d’Alba sur la scène de la place de l’Europe rejoignant les premières mesures du concerto pour violon de Tchaïkovski avec devant le soleil et derrière les ombres de la foule frigorifiée, ni non plus l’insouciance des jours fériés flottant tout autour des tables dressées devant le refuge des Fontaines à midi, ni l’or des vignes entre l’Avançon et la Gryonne un peu avant qu’elles ne se jettent sans se retourner dans le Rhône, sous Antagnes, à deux pas de Saint-Triphon, ni le lac qui écartait les bras cette après-midi-là comme jamais, au large de Treytorrens avec en face Meillerie, ni la présence de Ramuz ni les géraniums sur le ponton sous la voie ferrée, mais d’être là dedans avec les autres, un peu perdu sans projets ni regrets, les pieds attachés et la tête perdue à égale distance de la terre et du ciel, flottant, confondu aux forces d’en haut et à celles d’en bas, d’avoir été invité le même jour et à plusieurs reprises à la table de ce qui se suffit, sans rien souhaiter retenir sinon la possibilité même de tenir debout, soutenu par rien, avec pour voisins des inconnus auxquels on sourit et des noms de lieux qu’on murmure pour gagner par le détour des cols et des montagnes à petits pas l’invisible lieu, y demeurer sans fin avec le soleil et le ciel violet dont on dira plus tard que, s’ils avaient bel et bien facilité l’accès à la sagesse rédemptrice de celui qui n’a rien, n’interdisaient pas qu’on songe en contrepoint à la pluie et aux bourrasques qui reviendraient, qu’il serait toujours temps de se rappeler qu’on s’était dit alors avec la voix du dedans que le temps qu’il fait, ce qu’on est et le lieu qu’on occupe n’y sont pour rien, et que cela il ne fallait si possible pas l’oublier.

Jean Prod’hom

Bouvetages

Des plumes sur l’eau
impossible de s’en aller
image profane au pouvoir accru
à la lisière du bois
le chant d’un oiseau

dans une cage les dépouilles d’un tigre
capturé puis oublié
des sonnailles pendent
aux poutres du cabanon
ce sont les restes d’un décor grandiose

les bienfaits se déployaient en nombre
les outils d’artisans adroits
ciselaient les pièces uniques
que des doigts délicats ajustaient
sur la nuque des fortes têtes

on venait de toutes les îles
pour goûter aux herbes de confidence
et malgré la confusion de leur approche
on aimait la naïveté des peuples de l’ouest
qui ne rataient pas une occasion
de faire main basse sur nos secrets

tel était le cadre des représentations
il aurait suffi d’une autre mise en scène
mais c’eût été celle de la suffisance

c’est aussi et à son insu
le tableau général de l’imaginaire
d’un provincial terrassé
par les dimensions de son entreprise
les quelques jalons
d’une aventure improbable

Jean Prod’hom