Jeux

L’intendant prépare
dans l’arrière-boutique
des couronnes de laurier
qu’il glisse dans une corbeille
salix viminalis
il dresse au fond d’une niche
les javelines
dont les pointes sèches
sont fichées
au coeur de lourdes pastèques

derrière les parois des huttes
et les ourlets de la gêne
des métèques frictionnent
le dos des combattants
héros encensés puis niés
plus tard occis
ils se mirent dans de larges bracelets d’or
on chante c’est un mélange de liesse
de labours et de musc

jours de fête
étranglés par la pince
des princes et du temps
vil hochet
placé entre les mains
d’hommes peu scrupuleux
il n’y eut pas de répit pour les condamnés
je hèle, ils déraillent et tu brodes
avant que les mailles ne s’emmêlent
et rendent l’insurrection impossible

on servait à la cantine
de la gnôle et du lait
on avait viré l’honneur
qui se vautrait au fond de niches empaillées
fallait pas se fier au nombre de box
les juments et les pouliches
depuis longtemps déjà
avaient abandonné la partie

assis et seul
près de la haie
l’enfant de l’un des colosses
pleure
il voit les larmes de son père
goutter sur l’arène

Jean Prod’hom

Dimanche 5 septembre 2010

Au clocher d’Hermenches l’horloge n’avait qu’une aiguille – qu’une main. Pas de minutes, de belles heures toutes rondes, jamais mordues.

Gustave Roud


Le vent officiait très haut à l’heure du culte et le ciel était nu. Daniel avait labouré le champ de blé rentré il y a une semaine et l’horizon s’était abaissé d’un bon mètre. Il avait passé la herse la veille si bien que la terre était montée – avec des crêtes de chaume – jusqu’au pied du potager, elle léchait même ceux du banc sur lequel j’étais assis. Une faible bise, orientée est-nord-est, a fait monter soudain le tintement sourd des cloches des villages en contrebas. Un tintement lointain, à peine perceptible, assez toutefois pour réveiller ceux qui ne dorment pas et les débarrasser des petits soucis qui guettent ceux qui n’ont rien à faire.
Des aiguilles, les horloges n’en avaient plus aucune ce matin, et le temps s’est mis à écarter les bras, et tous ceux qui tendaient l’oreille se sont mis à espérer que les cloches, lorsqu’elles faisaient mine de se taire, rajoutent une mesure à Carrouge ou à Mézières, pour creuser un peu plus encore la campagne, jusqu’au silence qui règnerait cet après-midi dans les déserts, les beaux et précieux déserts de nos dimanches.

Jean Prod’hom

Guide de l'Imrie I Joachim Séné

PSTOPH

Imrie, Province du Pnou
32 000 habitants (Pstophiens)
Ville à éviter + + +

Ils n’ont ni plus ni moins de colère que nous, ni plus ni moins de bonheur que nous et pourtant les Pstophiens crient sans cesse. Leur ville est située dans l’Enclave de Cône, petite cité dans la montagne au sud du Pnou, tout au fond d’un cirque impraticable. D’après l’ethnologue Roba Silmour, le volume sonore de leur voix est le résultat d’une longue sélection sociale. Les puissants organes des Fanors, lignée de chefs, furent chassés du pouvoir comme ils y étaient venus : au cri. Ce jour là, vers 500, le peuple dans la rue cria, et parmi les crieurs les plus puissants furent envoyés devant. Aussitôt que les Fanors eurent abdiqués ceux de devant prirent leur place. Leur facilité à parler fort leur permit de s’imposer et de durer tout en faisant taire les oppositions, de plus faible volume. Après quelques années de tyrannie la population compris son erreur et on procéda de nouveau au cri vociférant et insurgé qui propulsa sur le trône de nouveaux crieurs qui surent et remplacer le pouvoir en place et faire comprendre au peuple son intérêt à les laisser là. Etc. La pratique du cri devint la pratique politique, puis la pratique sociale. Sans cri, pas de pouvoir. Sans cri, pas de place au théâtre. Sans cri, pas de place à l’école. Sans cri, pas viande fraîche au marché. Sans cri, pas de bon salaire. Sans cri, pas de place dans le bus, pas d’allocations familiales, pas de cadeau d’anniversaire, pas d’essence, pas d’eau, pas de café, rien ; sans cri pas d’existence vraiment.

Cela dure encore. Aujourd’hui, le volume sonore moyen d’un seul Pstophien est plus fort qu’un chœur de quatre de nos ténors. C’est à dire qu’ils parlent ainsi, naturellement, comme nous ne pouvons même pas hurler à mort. Sans s’en rendre compte, ils tendent les muscles de leur cou, ouvre la bouche en faisant descendre la mâchoire jusqu’au bas du cou, ont le visage rouge, les yeux exorbités, et cela pour vous indiquer seulement l’heure ou vous demander de leur passer le sel. On remarque aussi les larges épaules, les cages thoraciques développées, les ventres ronds et les nez proéminents où résonne la parole.

Roba Silmour n’a pu visiter longtemps cette ville, victime d’une extinction de voix chronique et ayant perdu plus de la moitié de ses capacités auditives en quelques semaines.
Il arrive qu’un Imrien sourd parte s’exiler là-bas. Aucun n’est jamais revenu, ils préfèrent y rester. Parfois c’est un Pstophien muet qui s’en va, chassé par la force des choses, ignoré, exclu, banni de fait. Il ne nous raconte rien, incapable de répondre à des questions qui ne sont pour lui que vagues murmures.

Lors d’une randonnée le long du Cône, sans même aller vers la cime de la chaîne circulaire qui enserre l’enclave, vous entendrez une rumeur incessante qui déboule le long du versant et descend mourir en roulant dans la vallée : ce sont les conversations de la ville qui émergent continûment, comme les fumerolles suivent l’éruption.

Joachim Séné

écrit par Joachim Séné qui m’accueille chez lui dans le cadre du projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

Et d’autres vases communicants ce mois
 Christine Jeanney et Pierre Ménard
Joachim Séné et Jean Prod’hom
Michel Brosseau et Christophe Sanchez
Kouki Rossi et Florence Noël
Anita Navarrete Berbel et Piero Cohen Hadria
Maryse Hache et Florence Trocmé
Anne Savelli et Loran Bart
Daniel Bourrion et Brigitte Célérier
Arnaud Maïsetti et Stéphanie K