Optique

Le soleil court à l’amble
sur une chaussée déserte
enveloppée par des volutes de fumées noires
il suit le tracé
qu’il a choisi à l’aube
arpente les étages du ciel
occupés par les dignitaires
d’une époque révolue
éblouis par sa face impériale
ils tiennent le calendrier des saisons

méprise d’en-bas
on ne voit que l’astre nu
badigeonnant d’or
les statues debout
les pierres couchées
le désordre

on attend pourtant d’autres lumières
pour donner à ce qui est ci bas
de la grandeur et du volume
assembler par deux
les instances suprêmes
les couronner

sur le pavé nouvellement jointoyé
on tient buvette au crépuscule
dans ce pays chauffé à blanc
avec l’appui des tenanciers des auberges de la ville
la foule s’échange des vêtements chatoyants
yeux dans les nuages
coiffes multicolores
quelques plumes précieuses s’élèvent au vent

l’élan combine avec l’horizontalité tranquille
la perspective sans fin d’un règne
bannière au poing

Jean Prod’hom

Une fois encore

C’est le dernier jour, on se quitte comme chaque année devant la maison, près du treillis, rue Pierre Cernize, à côté du sac d’ordures qu’on lui a laissé. Elle retient ses larmes, bien digne dans les bras de S. à laquelle elle confie ses craintes, celles des personnes âgées, imperceptibles secousses. Depuis cinq ans c’est la même chose. Elle lui dit tout encore une fois, mais elle lui fait comprendre qu’elle le fait peut-être pour la dernière fois.
Et lorsqu’on remonte la rue Joanny Desage, on l’aperçoit à travers les arbres du jardinet de son voisin. Elle est sur le perron, dites-lui au revoir les enfants, c’est peut-être la dernière fois. Elle rentre la tête dans les épaules, comme une enfant timide, ou un hérisson, elle sort la main droite de la poche de sa blouse bleue à pois blancs et l’agite lentement comme un enfant. Bon voyage. A la prochaine fois. Sa main gauche sert un mouchoir, elle va rejoindre l’ombre qui l’attend dans sa cuisine.
Lorsqu’on prend la route de Saint-Galmier pour rejoindre Saint-Etienne, je l’imagine alors debout, les pieds dans une cuvette d’eau fraîche. Il faudra monter en ville, faire quelques achats, ramener le journal qu’elle partage avec son voisin. Le temps passe si vite, l’an prochain est déjà bientôt là. La vie a repris, pleine d’oublis, elle ne dit rien, elle fait, elle va.

Jean Prod’hom

Dimanche 11 juillet 2010

La piscine publique située au croisement de la D541 et de la D414 mériterait toute l’attention des inspecteurs de l’UNESCO. Il y a d’abord le vaisseau solaire de Grignan, il guigne au-dessus de la visière de ma casquette dans le ciel de la Drôme, pareil à un satellite géostationnaire – ou à un OVNI, ce qui revient au même. On ne s’en s’étonne plus autour du bassin communal, pensez donc, 35 degrés à l’ombre.
Il y a ensuite le long bâtiment à claire-voie, décati, nu, parpaings sans crépi, qui date à n’en point douter d’avant la construction du château. A l’une de ses extrémités quelques cellules qui devaient permettre autrefois au baigneur de se changer à l’abri des regards, des sanitaires ensuite, à l’abandon. Puis le local dans lequel le baigneur, aujourd’hui encore, laisse ses vêtements en dépôt à l’intérieur d’une boîte en plastique rouge qui fait penser à un télésiège alpin des années 1960. A côté, la loge du gardien principal, absent depuis le début de la saison. Plus loin un maigre local pour stocker du matériel de sauvetage qui invite à la plus grande prudence. Au-delà l’espace colonisé par les habitués, qui se prolonge jusqu’à la buvette de plomb importée des plages de Normandie. On y réchauffe des crêpes.
Mais il y a surtout le rassemblement des gens qui ne disposent d’aucune piscine privée, – de moins en moins chaque année –, ils observent à fleur de peau le spectacle vrai et effrayant des corps, ceux des célibataires et des gens de passage, des veuves, des enfants buissonniers et des amoureux. une galerie d’un autre temps au pied de la collégiale, des corps presque nus se disputant, les pieds dans l’eau, l’enfer et le paradis. Pour deux euros seulement au croisement de la route de Rochecourbière et de l’avenue de Grillon.

Jean Prod’hom