L'hôpital

Aux urgences, section observation, deuxième sous-sol, un infirmier m’accueille. Je l’ai déjà vu mais où ? Il m’avertit d’emblée que c’est son premier jour dans ce service en tant qu’infirmier de liaison. L’homme est bègue, il me demande de patienter tandis qu’il s’assied dans le box voisin au chevet d’une vieille dame qui lui raconte sa vie : son mari, sa nièce, son veuvage, la mort de sa cadette, son appartement, son indépendance. Lui se tait, l’écoute et prend des notes. Je lis sur sa blouse l’étiquette qui précise son identité : Patrick Modiano, infirmier de liaison.

Le patron du service en connaissait un bout sur la nature de l’homme. Il avait en effet déniché, Dieu sait où, une dame au museau de bouledogue et à la voix de corbeau qu’il avait installée dans le fauteuil de la réception. Cette dame – faut-il dire secrétaire ? – eut tôt fait de saisir les rudiments de l’aboiement. Elle apprit également à convaincre le client qu’il devait s’être trompé d’adresse, qu’il n’était, quoi qu’il en soit, pas chez lui et qu’il aurait pu choisir un autre thérapeute et surtout un autre moment. Elle effrayait si bien le patient que celui-ci se retrouvait somme tout très satisfait, heureux même, lorsque, échappé des mains de l’animal de garde et parvenu dans le cabinet du médecin, celui-ci lui annonçait que la situation était grave, désespérée même.

Jean Prod’hom

Moineaux

On entend ce matin 807 moineaux qui piaillent sans discontinuer, puis le cri lugubre d’un seul corbeau. Non ! C’est Jean-Rémy qui se racle la gorge.

Le chant rauque du coq, le cri lugubre du corbeau et huit cent sept moineaux qui nichent dans la tête vide de Jean-Rémy.

Jean Prod’hom
9 août | 22 août 2009

Désencombrement du jour

Je voudrais avoir payé mon dû avant même d’entrer dans le jour, pour entreprendre librement et sans vaine espérance cette traversée à laquelle je suis convié quotidiennement. Je voudrais inverser les habitudes : un mot bref en guise d’écot, – une prière ? – pour affamer d’emblée mes attentes et me livrer libre et bienveillant, mains nues et sans idées derrière la tête, à l’enchaînement de mes tâches quotidiennes. Je voudrais ne pas avoir à traiter avec l’espérance, telle qu’elle se donne lorsque la nuit tombe pour racheter autant que faire se peut l’immanquable déception à laquelle nos vies nous conduisent à la fin. Je voudrais avoir régler le sort de mes journées avant même de les avoir commencées pour en disposer comme de quelque chose qui n’a pas de nom et qui ne figurera dans aucun bilan, un espace sans enjeu au sein duquel je n’aurais qu’à prêter mon oreille, offrir ma main, répondre aux voeux. Je voudrais recommencer ainsi chaque matin de telle manière que mes jours ne comptent pour rien. Je voudrais au fond avoir chaque jour un jour d’avance, pour disposer d’un jour sur lequel je n’avais pas compté, au-delà du temps, un jour imprévu et que je traverserais sans arrière-pensée, en lisière du temps, comme l’envers d’un revenant.

Jean Prod’hom