Dimanche 27 juin 2010

Pierre Alechinsky cite Cioran qui aurait écrit – ou dit un jour – que tout nous vient du dehors. Ce n’est pourtant pas la teneur de cet aphorisme qui m’enchante et dont je partage au fond l’évidence, mais la voix lointaine de cet homme de 83 ans, dont le grain et l’allure attestent le chemin à suivre pour distinguer et faire entendre ce qui vient lorsque le chemin disparaît dans la lande, lorsque le dehors se confond avec le monde qui a bien voulu de nous une saison, lorsqu’on est en mesure de faire entendre le silence : la voix du dedans.

Ce que les pierres retiennent

Amené à rompre avec la supposée continuité du temps au risque de succomber à un vertige, non plus celui du temps qui fuit, mais celui du temps qui est resté bloqué là-bas.

Si les images, les photographies, les souvenirs vieillissent, c’est parce que, incapables de retenir ce qui demeure, ils laissent filer le temps qui seul compte. On le voit dans les corps passés, on le voit aux visages, aux mains trop lourdes, aux jambes trop cassantes sous le poids des souvenirs qui se défont. Le gros du temps reste en arrière, par-delà les images qui ne retiennent que des ombres.

Rien n’a changé, on voit simplement les choses d’un autre lieu. Mais il aura fallu pour l’atteindre nous extirper de la glaise dont on est fait, faire ce pas de côté, et réaliser quelques voyages de circumnavigation pour retrouver les choses telles qu’elles sont, ce miracle en tiers qui nous est offert lorsqu’on revient bien après. Nous éloigner donc, nous égarer même, souvent, pour considérer enfin les choses en leur lieu, c’est-à-dire de ce lieu que l’on n’a jamais tout à fait quitté, aperçu pourtant comme un phare oublié qui nous fait supporter de manquer ce pourquoi on avait appareillé, sans regret, mais dont il faut bien s’approcher pour être enfin un peu avant de n’être plus.

Jean Prod’hom

Gueule de bois

C’était le temps où ça y allait, le temps des Chevillard-Camaro, des Peugeot 807, des Nisard-Gloria et des Toyota Prius, des liseuses et des nuisettes, des pokes et du pacs. Je peux vous l’assurer, ça roulait et on ne se faisait pas de cadeaux. D’ailleurs les uns ont fini dans la fosse à bitume, les autres contre le mur.

La baronne de Rothschild avait prédit, sur un plateau, l’avenir du révolu. On aurait dû la croire.

Quant aux visionnaires, dopés par leur statut et la promesse du succès, ils en avaient pris plein les dents, et avec eux leurs courtisans. C’était pas net, on écouta les justifications contrites des premiers, on assista à la débandade des seconds. On para au plus pressé et on recommença, on en est là.

Jean Prod’hom
27 mars 2010