Anniversaire

Il faut qu’aujourd’hui encore je m’y colle puisqu’il ne s’est trouvé dans le zinc du 807 aucune âme assez généreuse pour me rédiger une triplette assez ronflante le jour de mon anniversaire.

On aurait pris conscience à cette occasion de ce qui distingue les essais disgracieux de 807 nains du geste tranchant d’un géant.

Quoi qu’il en soit, avoir disposé sans bourse délier de 807 nègres, dociles et besogneux, qui auront oeuvré 807 jours durant à l’établissement définitif de votre renommée, n’est-ce pas là le signe avant-coureur du génie ? Faut-il les en remercier ? 807 fois ?

Jean Prod’hom
18 juin 2009

Fond de l'île

Personne n’était arrivé indemne
dans les bas-quartiers de l’île
poches vides autrefois
occupées dès les premiers jours
par des exilés
au statut indéterminé
des choix arbitraires
qu’on déplore
aujourd’hui encore
mais qu’on admet faute de mieux
n’en parlons plus
nous n’y étions pas

banlieues sur pilotis
réduites mais placées en nombre
au-dessus des eaux dormantes du marécage
satellites de bambous
bien entendu
on y tournait en rond
le gouverneur les appelait
dépendances autonomes du centre
on ne craignait pas les paralogismes
des régions prospères
aux dires de certains
des régions aux mains vides
désoeuvrement en boucle
on gobait les oeufs
des oies sauvages
on enrubannait
les arbustes rabougris
de la dune

on faisait sécher au vent
les linges de lin
dans des bouquets de genévriers
des rêves
sous les ruines en construction
de pierres sèches
des idées perdues
ce n’est pas ainsi qu’on ferait face
à l’envahisseur
derrière le chant rauque
des oiseaux camouflés
patientaient de nouveaux arrivants

aucun témoin
on voyait là pour la dernière fois
des choses jamais vues

Jean Prod’hom

Dimanche 30 mai 2010

Il est un peu plus de midi et je traîne depuis ce matin dans l’un de ces culs du bout du monde dont on croit toujours que le destin va vous épargner la visite et auxquels on touche pourtant deux ou trois fois dans sa vie par une succession de hasards. Il faut donc s’estimer heureux, pour autant qu’on ait l’esprit libre et qu’aucune passion ne vienne allumer le regret d’avoir perdu son temps : ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance d’être l’hôte des locataires d’une impasse d’après la fin du monde.
Il a plu tout le matin et je n’ai vu personne encore dehors. Terres autrefois gagnées sur les bois noirs qui bordent la rivière, elles n’ont vu pendant des siècles qu’un ou deux fermiers aux commandes de fermes cossues. D’autres défricheurs sont venus depuis, ont épilé la vallée, bosquets, haies y ont passé. Ils ont déroulé le bitume et construit des villas par dizaines que les nouveaux riches des petites villes voisines ont dessiné à l’image de leurs constructions enfantines : laides et originales, murs épais et crépis talochés, projetés, écrasés, grattés, gros grains, pierres apparentes. Bleu, rose et vert pâle, toutes à bonne distance les unes des autres. On a sombré dans la laideur, impossible que la vallée s’en remette. Tout est déjà en ruines, ils pourriront là.
Deux grosses dames mangent une assiette de crudités. Elles sont du coin. Assises face à face, elles concassent comme des noix leurs amies d’hier à la table ronde de l’auberge du village, dans un dialecte qui désarticule leurs mâchoires. Leur front dégouline, je ne comprends rien. La méchanceté fait briller les verres de leurs lunettes aux montures noires et droites. elles ont écarté le quartier de melon qui a la couleur du saumon, trop mou à leur goût, rien à ronger. D’ailleurs on ne voit pas leurs petites dents acérées sous la menace desquelles les deux sorcières ouvrent la bouche pour faire gronder des sons gutturaux et des voyelles grimaçantes. Elles serrent dans leurs mains dodues un verre de bière. Elles en veulent beaucoup à leurs amies, mais la plus grosse plus que l’autre.
Elles étaient là quand je suis entré, je ne les verrai pas sortir, il vaut mieux. Dedans et dehors le spectacle est terrible. Et je ne vois pas d’issue

Jean Prod’hom