Gros pépin et petits emmerds

À entendre tous les jeudis soir le récit des 708 ou 807 petites souffrances que s’échangent les habitués du Liseron, j’en viens à me demander si un gros pépin autour duquel graviterait toute une vie ne vaudrait pas mieux que le chapelet des petits emmerds qui la rongent morceau par morceau.

Jean Prod’hom
16 juin 2009

Sauver les apparences

à Anthony Poiraudeau (Futiles et graves)

Une jeune femme virevolte au milieu de la cafétéria, toute pimpante dans sa robe à volants savamment étagés; elle laisse deviner des formes dont elle est visiblement fière et que considère à la dérobée ses collègues de travail. Elle s’immobilise soudain, se penche pour saisir les désagréables plis que font ses collants sous son habit de reine, des plis qu’elle remonte tant bien que mal sous le mille-feuille de ses tissus, des plis qu’elle tente de dissimuler ensuite en les lissant tout autour de sa taille de guêpe, avant de se redresser et de virevolter à nouveau.
Je songe alors à l’histoire de l’architecture, aux solides églises romanes de Bourgogne qui joignent sans à coup ni césure le dedans et le dehors; aux architectes des cathédrales de l’ìle de France qui ont été amenés à concevoir des contreforts aux dimensions de leurs ambitions babéliennes; aux basiliques relookées du XVème siècle toscan enfin, à celle de Santa Maria Novella que termina à Florence Leone Battista Alberti en 1470, fixée avec de la colle au vaisseau rustique des frères Sisto et Ristoro, à toutes ces façades de la Renaissance italienne qui, derrière le clinquant, laissent apparaître des coutures bricolées, des raccords, des mauvais plis, bref l’immoralité.
Tout en me baissant pour remonter mes chaussettes, un aphorisme de Nietzsche me revient en mémoire, il conseillait en 1878 à ceux qui bâtissent : Pour exciter l’étonnement, il faut enlever les échafaudages lorsque la maison est construite (Le Voyageur et son ombre, § 335). Si j’avais osé compléter la parole du maître, j’aurais ajouté que, par bonheur, l’histoire restaure à notre insu le dissimulé. Mais ça il n’aurait pas aimé : un peu trop hégélien.

Jean Prod’hom

Economie de subsistance

Emerveillement au-delà du marécage
le canot conduit
au seuil d’une caverne sacrée
dans laquelle dit-on
pleuraient les dieux

pas loin
un abri sous roche
et tout contre les parois
des restes de madriers
des pierres des planches
autrefois
des sauvages lacustres
la douleur à marée haute
s’y rassemblaient
pour se consacrer à l’essentiel

à l’aube
ils rejoignaient les rives
d’un lac d’altitude
avec les teignes
les vers et les asticots
c’est à ces hommes qu’on doit
la pêche à la ligne
au filet
la pêche au coup
à la mouche
la pêche à la bombette
la pêche au toc ou à rôder
à midi ils rabattaient les oiseaux aquatiques
égarés dans les touffes de roseaux
et les échangeaient en plaine contre des babioles

plus tard ils érigèrent
à deux pas de la caverne
un petit oratoire dans laquelle s’est perpétuée une tradition
y priaient ceux qui avaient attrapé
de la main gauche
un poisson une grenouille
une écrevisse un serpent d’eau
une mouche aquatique
un ver de lagune
un canard ou un cygne

les gauchers se multipilèrent
c’est dire que l’oratoire
qu’on appela
la chapelle de la main aux merveilles
ne désemplit pas

Jean Prod’hom