Les pénitents de Valréas

Nefs latérales en demi-berceaux financées par d’anciennes familles; chapelles en couronne; fleurs, pétales; un moine et un sanglier dans le feuillage; dessus un campanile octogonal à baies trilobées coiffé d’une couverture conique; cinq pans rectangulaires renforcés par des pilastres à chapiteaux. Et l’orgue, de la même grosseur et ton de ceux de Cavaillon, et le bois travaillé en bosses, positif de douze jeux et un pédalier; harpies, dragons, anges sonnant, putti et végétaux.
Dedans douze pénitents de notre temps, attelés à la misère du monde, sacs à main glissés sous le banc, obéissants, ils prient et chantent – il reste tant de choses à faire pour améliorer le sort des hommes, les accompagner à l’échafaud, les ensevelir, en délivrer quelques-uns, se consacrer aux malades, lancer quelques prières, assurer les soins, proclamer sa foi, processions et charité. Ce matin les pénitents de Valréas accompagnent en pensées et en louanges ceux de la paroisse qui sont partis en car pour Lourdes, ou en train pour l’Île de France. Avec une intensité variable, une douzaine, je l’ai dit, ce sont des pénitents gris, avec une jeune femme tout devant, pâle, à sa droite un prêtre, blanc, tristes à mourir. Soudain une voix d’alto sort de derrière un pilastre, tout se réchauffe, les paupières se soulèvent. Il aura suffi d’une tierce pour que le vaisseau s’envole.
Dehors une ville grise, cagoulée. fatiguée de tirer derrière elle des siècles de petites gloires, maisons fermées, stores baissés, des reliefs d’industries, quelques souvenirs, des remorques sur des plots, des oiseaux sans personne pour les écouter.

Jean Prod’hom

Dans la marche

A côté des prêtres et des guerriers
qui se partagent
le fruit des travaux
de ceux qui n’ont bientôt plus rien
à côté des agriculteurs
des marchands et des fonctionnaires
spoliés et bientôt exténués
un paysan

il refuse net
de payer l’impôt
et se retire dans les marches de l’île
accueille les pauvres errantes
dans sa hutte
avec lesquelles il chante
confectionne des manteaux
en fibres de maïs
les amoureux les rejoignent

qui l’a vu se souvient
de l’éclat de sa patience
de ses mains creusées
par les heures
d’un labeur
obscur mais inévitable
de son pagne bigarré
brodé

presque rien
pas de bijou en or
de petites récoltes
et deux mots interdits
hégémonie et ascension

pas d’autre célébration
un verre de fermenté
au jour des ligatures
et un hymne
au jour de la pénombre

lui et ses compagnons
vécurent des bienfaits
que sécrètent les horizons étroits

je le dis
mais qui l’aurait dit
c’est eux
qui enrayèrent
sans qu’ils le veuillent
la désertion des bois
en plaçant un labret d’ambre
dans les mâchoires des loups
et en offrant leur liberté
aux bêtes de la basse-cour
trop longtemps captives

trois générations
se succédèrent
dans cette région de l’île
et puis plus rien

le chroniqueur
évoque la vie
de ce singulier personnage
en marge du récit
de la disparition
des petits dieux locaux
il ne dit rien d’autre des circonstances

la mémoire est oublieuse

Jean Prod’hom

Memento mori

Ne pas mourir n’offrirait qu’un avant-goût assez quelconque de l’éternité. Pour y goûter pleinement, il faudrait non seulement ne pas mourir, mais encore ne pas être né. Et ça, c’est pas à la portée de n’importe qui.

Jean-Rémy, militant actif d’Economie et propreté, a exigé de son entourage que le parti puisse disposer un jour de ses cendres pour confectionner un savon. Je voudrais de mon côté qu’on me cède celui-ci, un seul instant, pour effacer soigneusement les traces de son passage.

Une paire de ciseaux et un noeud en huit pour le séparer de sa mère, un harnais en collier sur lequel il aura tiré toute sa vie, la faux oubliée qui l’attend au bout du chemin.

Jean Prod’hom
4 avril 2010