L'autre voie

Ne doit-on pas s’inquiéter de cette habitude tenace qui a attaché le gros de notre esprit au secret des mouvements qui font tourner la grande noria, à leur chiffre et à leurs résultats ?

Tu t’inquiètes toi-même de te retrouver à la fin du jour, insatisfait au milieu d’eux, à l’affût de la porte qui ouvrirait sur un pays d’essence plus haute, que ta précipitation éloigne et te fait manquer. Tu te débats pour obtenir un peu de vide dans ce trop plein, histoire de respirer, c’est peine perdue.
Faudra-t-il que tu acceptes encore la mainmise de ce que nous appelions faute de mieux le romanesque, qui nous éloigne non seulement de cet autre pays mais aussi du vieux pays qui invitait ses habitants à n’être qu’un presque rien s’ajoutant au presque rien, sans contrepartie, au milieu des morceaux d’un paysage incompréhensible que le mouvement de leurs paupières découpait ? Ils allaient presque immobiles dans l’à peine mobile, faseyant, déroulant sous leurs pieds les pièces du monde comme dans un film muet, un film aux raccords mal faufilés.
Oui, car c’est là qu’il fait bon vivre, loin des plaintes et des espérances, des courtisans et des complaisances. Souviens-toi d’Olympie, lorsque les athlètes s’en vont le stade est désert, croissent en bout de piste, derrière le talus, des ronciers et des chênes verts, ils annulent le récit de tous ces récits qui ne mènent nulle part, sinon au regret de ne pas avoir un jour emprunté au carrefour l’autre chemin.

Jean Prod’hom

LV

L’idée l’emballe, pas l’idée de l’adultère car Jean-Rémy est un homme à principes, mais rejoindre une chambre du troisième étage d’un Palace, où l’attendrait une maîtresse, en 4×4, ça aurait quand même une sacrée allure.

Jean Prod’hom

Dimanche 10 janvier 2010

Il faisait déjà nuit lorsque nous est parvenue de la chambre des enfants une mélodie d’autrefois portée par l’un de ces rais de lumière qui maintiennent tendus les interminables couloirs des maisons foraines. Qui s’avance jusqu’au seuil aurait aperçu par la porte entrebâillée une fillette incisive qui faisait ses grands travaux avant le clair de la lune. Nicolas, par quelle route vais-je prendre mon chemin? Je m’égarerai sans doute si tu ne me tends la main.
Inutile de lui tendre la main Nicolas, elle t’a oublié, c’est l’hiver, la fillette danse déjà la ronde du muguet. Regardez-la, des capucines et de gentils coquelicots ornent son front. Elle se lance, les doigts de sa main droite pincent les cordes de l’instrument qu’elle malmène, ils vont vite, invitent à des enjambées que la fillette peine à suivre, c’est qu’ils sont tenus de composer avec ceux de la main gauche qui décident de l’allure à l’avant de l’attelage, ils pressent, ses doigts s’emmêlent. La fillette reprend avec plus de vigueur encore, ça la démange, tout s’emballe, c’est la tarentelle. Elle donne volage son coeur au petit marchand d’galettes, petit berger ou petit cordonnier, à qui le veut, Frédéric ou Henri IV.
Elle joue, et chante Plumes plumes sur le pont d’Avignon, Sors escargot de l’étang plein de sardines à l’huile et ça la fait rire aux éclats.

Jean Prod’hom