A l’abri


Il arrive parfois que l’homme particulièrement choyé par le malheur songe avec une relative fierté que la Providence l’a choisi parmi tous ceux de son espèce comme le plus apte à supporter les gros pépins qu’elle a placés sur son chemin, alors qu’elle aurait pu tout aussi bien les attacher – avec un égal succès – aux basques d’inconnus. Maigre consolation pour cet élu de la seconde espèce… lorsqu’une tuile, pour faire bon poids, lui tombe sur la tête.
L’homme se retrouve si défait, si humilié qu’il en arrive à s’interroger sur l’identité du démon qui l’a un jour égaré, il se sermonne, met en cause son père et sa mère, ses amis, le passé et l’avenir. L’air s’opacifie, sa tête aussi, il n’en sortira pas.
Soudain un éclair, une idée d’enfant attardé venue de nulle part bouleverse l’horizon, chasse de son cerveau les maux qui l’assaillent, transfigure son visage: « Ce n’est qu’une mauvaise pièce de théâtre et il existe d’autres théâtres! » L’éclair disparaît, l’homme s’est ressaisi.
Courte rédemption! les tuiles de son toit sont patientes. Allongé dans la nuit, les mains croisées sur le ventre, il fait le mort avant de s’abîmer dans le sommeil que la Providence, il le sait, ne visite pas. Petit miracle pour cet élu de la seconde espèce.

Jean Prod’hom

LIII

Comme souvent en fin de semaine on se retrouve à midi au café, dans un délicieux jardin d’hiver ouvert sur l’abattoir et l’église, à deux pas de l’arrêt de bus qui ramène de l’école deux fois par jour nos enfants. C’est l’occasion de parler en famille de choses et d’autres en buvant un sirop et en croquant quelques chips au soleil.
Lili et Louise ont participé ce matin à leur premier cours d’éducation sexuelle. Leur maman est curieuse, un peu inquiète aussi de l’écoute parfois approximative de notre cadette.
– Alors, comment on fait les bébés?
– Le bébé sort par le bourillon! répond fièrement Lili.
Une ombre passe en coup de vent, on s’arrête de croquer les dernières chips sur lesquelles nous nous étions tous précipités. Ce silence soudain plonge dans le doute celle qui, du haut de ses cinq ans, croyait avoir réglé pour toujours les mystères de la naissance. Lili est vexée comme un pou et le silence se prolonge.
Pour détendre l’atmosphère sa mère prend les devants et rappelle aux deux aînés qui en savent un petit bout sur la question et à Lili qui a décidément besoin d’un solide complément à ses apprentissages scolaires du matin de quel événement majeur le bourillon est la trace. Pour conclure, elle précise que c’est moi, le père, qui ai coupé le cordon ombilical. Je relève la tête, fier, sans être toutefois complètement persuadé que mes trois enfants ont conscience de l’énormité du geste et de mon héroïsme.
– Enfin, les bourillons de Louise et d’Arthur! ajoute Sandra pour conclure. Car toi, Lili, tu es arrivée si vite que ni papa ni le docteur ne sont arrivés à temps! C’est une infirmière qui s’en est chargée.
– Et toi, maman, t’étais où?

Jean Prod’hom

Dimanche 27 décembre 2010

– Le Précambrien désigne de façon informelle l’ensemble des trois éons précédant l’éon Phanérozoïque. C’est la plus longue période sur l’échelle des temps géologiques, puisqu’elle s’étend de la formation de la terre, il y a environ 4,560 milliards d’années, à l’émergence d’une abondante faune d’animaux à coquille rigide qui marque, il y a 542 Ma, l’entrée dans l’ère Paléozoïque et sa première période, le Cambrien. Tiens! une échelle contre le cerisier.
– Oubliée après la cueillette!

Jean Prod’hom